Bien rares sont les bonnes raisons de s’infliger le visionnage de la première saison des Anneaux de Pouvoir, préquel mal écrit et peu spectaculaire du Seigneur des Anneaux, sur lequel Amazon a joué un paquet d’argent et pas mal de sa crédibilité. Résultat du match de l’automne : victoire incontestable de House of the Dragon…
Imaginer un préquel à l’incontournable Seigneur des Anneaux était donc l’une des ambitions stratégiques les plus frappantes – et inquiétantes – des Studios Amazon, qui souhaitent matérialiser leur supériorité par rapport au concurrent Netflix, perçu comme en perte de vitesse (relative)… Et, bien entendu, du même coup concurrencer HBO et son Game of Thrones dont un préquel (House of the Dragon) avait aussi été annoncé pour cet automne 2022…
Le scénario des Anneaux de Pouvoir est basé largement sur des textes de Tolkien, ceux regroupés sous le titre de Silmarillion, ce qui confère une indéniable crédibilité à la série, qui nous permet par exemple de visiter pour la première fois le royaume humain et insulaire de Númenor, de nombreux siècles avant la guerre qui ravagera la Terre du Milieu.
Pour ne pas paraître ridicule par rapport à la trilogie de Peter Jackson ou aux redoutables dragons médiévaux de Game of Thrones, la maison Amazon a mis la main au portefeuille, garantissant que les Anneaux de Pouvoir impressionne les fans de Tolkien comme les moins fans : à ce niveau, rien à redire, les paysages (néo-zélandais bien entendu) comme les cités majestueuses nous en mettent plein les yeux. Le problème n’est pas là…
En effet, même chez Amazon, il ne saurait être question de prendre un risque inutile avec autant d’argent mis sur la table : les scénaristes ont clairement reçu l’instruction de relier leur prequel aux événements du Seigneur des Anneaux, parfois à la limite du fan service. On va donc nous raconter ici l’histoire de la naissance de Mordor et de la réapparition de Sauron, mêlée à celle de la conception des trois anneaux magiques des Elfes. On a aussi décidé de faire de Galadriel et Elrond deux des personnages principaux de la nouvelle série (en attendant Gandalf ? C’est l’une des possibilités clairement esquissées pour la seconde saison…). Si la longévité des elfes permet ce tour de force, on ne peut s’empêcher de juger que les personnages n’ont rien à voir, ni physiquement ni moralement, avec ceux que l’on connaît, tandis que la relation entre Sauron et Galadriel, centrale aux motivations de cette dernière dans cette nouvelle histoire, ne peut que laisser sceptique tant il n’en reste – assez logiquement – aucune trace dans le Seigneur des Anneaux.
Les problèmes des Anneaux de Pouvoir ne s’arrêtent pas là, le pire étant le manque de logique et de cohérence quasi-systématique et des situations et des comportements des personnages. On passe en un souffle du jour à la nuit et vice-versa, nos protagonistes se retrouvent sans difficulté au milieu de vastes territoires marins ou terrestres alors que des centaines de kms les séparent, tout le monde prend constamment des décisions importantes en dépit du bon sens… Bref, les défauts si caractéristiques du divertissement moderne qui prend son spectateur pour un gogo ou un imbécile sont bel et bien présents, en décalage frappant avec la sévère cohérence de l’œuvre de Tolkien, bien respectée par Jackson.
Paradoxalement, Patrick McKay et John D. Payne ont décidé de coller à certains des choix les plus critiquables de Jackson : on réitère à longueur de scènes qui semblent interminables les discours pontifiants – et ridicules – des elfes, qui d’ailleurs ont un comportement raciste, voire eugénique, frôlant le nazisme – donc bien loin des principes ayant animé Tolkien lors de l’écriture du Seigneur des Anneaux ; dans le dernier épisode, on nous impose un pénible remake des adieux larmoyants entre hobbits (pardon, « pieds velus ») ; et, d’une manière générale, tout cela manque terriblement d’humour, ou moins de légèreté… la participation de nos amis nains à cette histoire étant très limitée.
Au fil des épisodes, l’ennui s’installe devant une histoire qui n’est jamais convaincante, avec une multiplication croissante de personnages annexes, seulement esquissés et dont on se moque royalement, et avec de longs tunnels de dialogues artificiels et sans enjeux réels. Les Anneaux de Pouvoir souffre de trop de problèmes structurels profonds pour pouvoir s’en remettre : manque de scènes d’action, absence quasi totale de nouvelles créatures qui mettraient en avant l’imaginaire « heroic fantasy », ridicule – mêlé à de l’inexplicable – de certains arcs narratifs (l’homme météorite recueilli par les hobbits – pardon les pieds velus -, les trois semi-divinités méchantes mais pas très futées qui sont à la recherche de Sauron, la conception, littéralement tombée des nues, des fameux trois anneaux des elfes…)… bref, les raisons de se plaindre pour le spectateur espérant un minimum de crédibilité et d’imagination ne manquent pas.
Finalement, face à la pauvreté d’un scénario que n’arrivent évidemment pas à sauver des acteurs littéralement de « seconde zone » (il ne restait sans doute plus un dollar pour engager des acteurs plus expérimentés, plus solides), le téléspectateur n’a guère d’autre choix que de patienter en attendant le twist final – pas très logique non plus, si l’on y réfléchit bien – qui l’amusera au moins quelques minutes.
Bref, il faut bien admettre que, malgré toute notre bienveillance, tout cela n’est guère brillant.
Eric Debarnot