De passage à Paris, Jérémie Moreau présentait Les Pizzlys, son nouvel album publié chez Delcourt qui une fois encore nous surprend et nous enchante. Il nous fallait donc absolument revoir cet auteur d’une créativité exemplaire, décidément à part dans le neuvième art.
Ni climatosceptique, ni catastrophiste, Jérémie Moreau nous propose, avec ce splendide ouvrage qui traite en grande partie du réchauffement climatique et des bouleversements du monde, une vision alternative qui, au lieu de provoquer l’anxiété (on parle désormais d’ « éco-anxiété » !), ouvre des chemins apaisants et beaucoup plus pragmatiques qu’on pourrait le croire malgré ses dehors poético-utopistes.
Lors des préliminaires précédant l’entretien, nous évoquâmes brièvement la météo, quelque peu capricieuse en ce début d’octobre, après quoi Jérémie posa cette conclusion : « Il n’y a plus de vérité ». Phrase qui résume aussi bien l’époque actuelle que le propos de son dernier opus. Dans Les Pizzlys, aucune vérité assénée, mais un constat, celui fourni par l’une des protagonistes, Annie, la vieille Indienne revenue dans son Alaska natal : « On est dans le trouble (…), les formes se voilent. Les corps se fondent. (…) C’est un grand bouillonnement, une immense redéfinition de toute chose… » L’échange promettait d’être passionnant, et il le fut…
Benzine — Les Pizzlys est-il un album censé redonner l’espoir dans ce contexte anxiogène ? Quel est le point de départ de cet album ?
Jérémie Moreau — On va dire que depuis La Saga de Grimr j’ai opéré un petit tournant écologique, en tout cas de la thématique qui aborde la relation de l’Homme à la nature. C’est un peu un électrochoc qui m’est venu à la lecture de Giono, qui m’avait déjà inspiré La Saga de Grimr, mais j’avais toujours abordé cette thématique avec la distance historique. Avec La Saga de Grimr on était au Moyen-Âge en Islande, Avec Penss et les plis du monde, on était à la préhistoire, avec Le Discours de la panthère on était quasiment dans un monde fabulé avec seulement des animaux, l’humain n’était pas encore apparu. Donc il y avait toujours une petite crainte, une petite appréhension à traiter frontalement le sujet, mais le réchauffement climatique se faisant de plus en plus présent, j’avais vraiment envie de proposer quelque chose qui le traiterait plus frontalement. Je pense beaucoup aux jeunes quand j’écris, aux nouvelles générations qui vont devoir vivre avec ça, qui vivent déjà avec ça. C’est presque tout ce qu’ils ont connu. A partir du moment où ils sont nés, on leur a dit : « Mon petit gars, l’avenir ne va pas être réjouissant. » Cela fait partie des grandes motivations d’essayer de mettre un peu de beauté sur ce sujet qui est toujours assez angoissant et effrayant. Et je trouve que c’est une des tâches nobles de l’art que de s’emparer des grands problèmes du siècle. Il faut des œuvres d’art pour digérer les choses qui nourrissent des peurs ancestrales. Le vingtième siècle a été le siècle de la bombe nucléaire, des guerres mondiales, beaucoup d’œuvres ont été faites là-dessus, et à mon sens aujourd’hui, il faut créer les grandes œuvres pour métaboliser ce changement climatique.
Benzine — As-tu été en Alaska ? Est-ce que tu te sentirais prêt à y vivre quelque temps ?
Jérémie Moreau — Non pas vraiment. On n’en a pas encore parlé, mais le point de départ de l’histoire, c’est la rencontre avec l’anthropologue Nastassja Martin…
Benzine — Que tu cites à la fin du livre…
Jérémie Moreau — Oui, ce n’est pas pour faire bien ou quoi, c’est juste parce qu’en fait j’ai vraiment beaucoup puisé là-dedans pour raconter des choses sérieuses sur les Gwich’in (peuple autochtone d’Amérique du nord, ndr), de ne pas trop trahir ce qui est la réalité de leur quotidien. Il y avait aussi la bande dessinée de Joe Sacco, « Payer la Terre », qui m’a apporté un certain éclairage sur le sort réservé aux natifs américains, et puis il y a aussi un autre article que je cite à la fin du livre qui est Retour du temps du mythe, un article en accès libre que j’invite tout le monde à lire, et qui propose vraiment cette thèse qui parcourt la fin du livre : et si on pensait le changement climatique d’une manière mythologique, mythique, et comme une sorte de retour d’un temps ancestral caractéristique chez les Gwich’in d’Alaska, qui serait une sorte de retour de l’indistinct, d’un brouillard, d’un temps de la métamorphose . L’article traite de ce sujet. En parallèle, cette nouvelle espèce engendrée par le changement climatique qui est le pizzly, qui est donc une résultante entre les ours polaires qui descendent parce que la banquise fond, et fusionnent avec les grizzlys, qui eux remontent parce qu’ils ont trop chaud. Pour la première fois, le contexte du changement climatique fait qu’ils se retrouvent sur des terres communes où ils ne s’étaient jamais croisés, et engendrent en fait une nouvelle espèce « métisse ». Ce sont donc plus des raisons théoriques qui m’ont donné matière à poursuivre mon histoire de manière intéressante. De plus, la confection du livre s’est passée en plein confinement, donc je n’aurais pas pu y aller…
Benzine — Est-ce qu’on peut et est-ce qu’on doit se passer d’Internet et des réseaux sociaux. Et pour toi quelle est la meilleure façon de les utiliser, quelle est l’alternative voire l’antidote ?
Jérémie Moreau — Pour moi c’est très important de ne pas être technophobe. D’ailleurs là, depuis plusieurs interviews, on me parle de retour à la nature, et ce n’est pas vraiment ma manière d’en parler. Parce que déjà pour moi, « retour à la nature », ça parle plus du retour des urbains au jardin potager, à la campagne… Les lectures qui m’inspirent sur ce fameux retour à la nature, ce sont des changements beaucoup plus profonds, beaucoup plus paradigmatiques. Mais en ces jours où Monsieur Bruno Latour vient de nous quitter, la meilleure image pour moi serait son livre Où atterrir, avec cette idée d’atterrissage. Il développe l’idée selon laquelle le mythe moderne est un « avion » qui devait emporter toute la planète. C’était une espèce de promesse de l’Amérique : on va offrir l’abondance et la liberté pour tous. C’est vraiment un mythe basé sur le désir de conquête : on puise tout ce qu’il y a à puiser sur la planète Terre, et c’est cet immense « avion » qui permettra de résoudre tous les problèmes par le progrès. Et si la Terre n’a plus assez à offrir, on ira sur une autre planète. La grande caractéristique de notre époque, c’est que ce temps-là est fini, que ce mythe du décollage ne fait plus rêver personne, et que l’on se rend bien compte que les promesses de modernisation du monde seront impossibles à tenir. En fait, si on voulait tous vivre comme des Américains, il faudrait douze planètes, mais tout cela se fissure de partout. La belle métaphore de Bruno Latour, c’est de voir comment est-ce qu’on abandonne cet horizon illimité, et comment on revient sur une Terre qui est limitée. A partir de là, le chantier est énorme et concerne la politique, le droit, et cela recoupe tout un courant de la pensée écologique, de la pensée du vivant : comment est-ce qu’on ramène les vivants dans le champ du social. Il y a des trucs assez incroyables. Par exemple, en Nouvelle-Zélande il y a un fleuve qui est devenu personne juridique. Le fleuve a un avocat, et on ne peut pas faire tout ce qu’on veut sur ce fleuve. A mon avis c’est le grand mouvement qui est en marche aujourd’hui. Il y a la Loire aussi, avec ce projet consistant à faire du fleuve une personne juridique qui ne sera plus vulnérable à toutes les entreprises agro-industrielles ou autres. C’est tout le grand champ de combats à mener dans les années qui viennent.
« Voilà l’utopie que je propose, un internet humain qui viendrait se mixer avec les informations du reste du vivant… »
Benzine — Pour revenir à ma question sur internet, tu ne prêches pas le retour à la bougie et à la vie dans les grottes, puisqu’à un moment un des personnages des Pizzlys, la jeune indienne Genee, parle d’une sorte « d’internet-rêve qui permettra d’être connecté avec les arbres et les animaux. Et en communiquant avec eux, on arrivera à établir un cycle de vie idéal ». Peux-tu développer ?
Jérémie Moreau — C’est vraiment dans cette idée de ne pas être technophobe. Il s’agit juste de produire des savoirs, des technologies encore plus performantes qu’aujourd’hui et de changer leur but. La jeune fille dit qu’elle rêve d’un monde où tous les savants des villes mettraient leur savoir au profit de la vie avec le reste du vivant, et du coup la forêt serait le lieu idéal pour tisser ce lien. L’internet-rêve, ça m’est venu parce qu’avec toutes les découvertes sur l’intelligence des arbres, notamment avec le mycélium qui transmet les informations d’un arbre à l’autre. On prend la métaphore de l’« internet de la forêt », sauf que l’immense différence est qu’il s’agit d’un internet qui concerne des centaines d’espèces différentes, alors que le nôtre ne concerne que les humains. Voilà l’utopie que je propose, un internet humain qui viendrait se mixer avec les informations du reste du vivant…
Benzine — Qu’est ce qui, à un moment, nous a coupé du vivant ?
Jérémie Moreau — Je pense qu’à une époque on avait certainement un plus grand lien aux arbres et à la nature. Tout cela a été complètement coupé par la modernité. J’ai lu plein de trucs là-dessus et je vois très bien comment ça s’est produit. Avec la conscience, l’homme devient un individu libre qui s’affranchit des divinités. Il y a un passage où je l’explique : les esprits des lieux ont été renvoyés dans un ciel divin avec le christianisme, puis on a fini par s’affranchir de cela pour devenir les seuls acteurs dans un monde qui ne serait qu’un décor inerte, avec des objets galiléens mis en mouvement sans aucune possibilité de choix. C’est cela qui a créé la modernité. Si on est les seuls à faire des choix, ça veut dire qu’on est responsables de tout, qu’on s’occupe de tout. Le grand changement écologique, c’est qu’en fait on est responsables de rien du tout et que ce sont les plantes qui nous permettent de vivre. Il y a une phrase que j’adore de Baptiste Morizot qui explique que sans toutes les formes de vie autour de nous, on mourrait par trois fois : en 40 secondes d’asphyxie, en 3 jours de soif et en 3 semaines de faim. Il est donc temps de retrouver un peu de respect et de gratitude pour ce qui nous donne la vie.
Benzine — Aujourd’hui on a l’impression que plus on est connecté à nos appareils et moins on regarde ce qui nous entoure, le tout est de se rebrancher aux choses essentielles…
Jérémie Moreau — C’est ce qui m’a semblé hyper intéressant avec le GPS, qui est le point de départ. C’est une technologie qui ne va pas dans le bon sens…
Benzine — Oui c’est ce qu’on voit au début de l’histoire où le chauffeur de taxi Nathan pète les plombs alors que son GPS vient de tomber en panne, et qu’il entre dans une espèce de brouillard mental…
Jérémie Moreau — C’est un exemple typique où la technologie, au lieu de nous augmenter en nous tissant au vivant, nous isole. En fait cette idée du GPS vient d’une expérience qui a réellement été menée sur les chauffeurs de taxi parisiens, permettant de mettre au jour que lorsqu’ils utilisent de manière trop intensive leur GPS, il y a un petit muscle du cerveau — un noyau sous-cortical qui s’occupe de la spatialisation — qui s’atrophie, de la même façon qu’un muscle qu’on n’utilise plus. Pendant des heures et des heures, le taxi suit juste les instructions du GPS sans se demander où est le nord ou le sud, de quel côté est la Bastille… Il développe ainsi une dyslexie spatiale et n’est plus capable de retracer le chemin mental pour aller à la boulangerie, ni même pour retourner chez lui. J’ai trouvé que c’était un point de départ génial. Comment est-ce que la technologie, qui est censée nous augmenter, en est arrivée à nous retirer les capacités archaïques primordiales de n’importe quel être vivant terrestre. Je veux dire qu’à partir du moment où le poisson sort de l’eau et devient un être qui se déplace sur le sol terrestre, la base c’est sa capacité à retrouver son nid, sinon il est foutu et l’évolution ne va pas lui faire de cadeau ! Nous-mêmes en sommes arrivés à devenir des sortes d’infirmes terrestres avec cette technologie.
Benzine — C’est un peu pareil avec Google qui rend notre mémoire paresseuse, et ça aussi c’est une vraie question ?
Jérémie Moreau — Alors moi pour le coup, pour être plutôt technophile, je suis assez fan des applications. Par exemple il y a un site qui s’appelle Pl@ntNet et qui permet de photographier une plante et nous donne des infos sur elle. Dans mon petit village, beaucoup de gens l’utilisent. Aujourd’hui, on est devenus des analphabètes complets de la nature, on a complètement perdu ce savoir un peu fin des choses. On se promène dans la nature mais on n’est plus capable de lire quoi que ce soit, alors que n’importe quel animal est en fait une bibliothèque d’informations. Baptiste Morizot l’exprime très bien. Pour lui, chaque crotte laissée est un blason, une marque de territoire, qui permet de savoir à quel moment un animal est passé à tel ou tel endroit. Et nous on marche dedans et on ne voit rien, on est dans une carte postale. Et sur ce plan, la technologie permet de réengranger un peu de savoir.
Benzine — Je m’inclus moi-même dans les analphabètes parce qu’en fait je suis assez nul pour reconnaître les plantes…
Jérémie Moreau — Loin de moi l’idée de vouloir faire la leçon, je suis aussi une catastrophe pour ce qui est de reconnaitre les arbres !
« Mon impression est qu’on se trouve à un tournant de quelque chose et que je préfère me concentrer sur le positif. Il y a plein d’aspects positifs quelque part… »
Benzine — Peux-tu nous parler de ta technique de travail, avec cette colorisation particulière, très audacieuse je trouve, où l’on voit pas mal de touches fluo, qui donnent un côté assez moderne à l’ensemble ?
Jérémie Moreau — Il y a plusieurs raisons… Avant cette bande dessinée, j’ai opéré un tournant stylistique entre Penss et les plis du monde et Le Discours de la panthère. Je voulais me reconnecter à une production plus avant-gardiste, plus « jeune », et c’est un peu pour ça également que j’avais eu envie d’aller dans le catalogue de 2024. Et je pense que ce qui sort des éditions 2024 m’a aussi un peu influencé pour produire un trait beaucoup plus épuré, plus simple, avec des a-plats de couleurs. Ensuite, c’est vrai que depuis presque une dizaine d’année, si on se balade dans la bande dessinée alternative, par exemple au Spin off d’Angoulême, qui est un petit endroit excentré où les grands éditeurs ne vont pas souvent mettre les pieds, le fluo est quelque chose qui est très à la mode, qui est très utilisé. Et en ce qui me concerne, j’aime bien rester au contact de la jeune création, de ce qui se fait, et j’ai plaisir à me réapproprier ces codes-là, de voir comment je peux les retransformer et les traduire chez les grands éditeurs. Selon moi, c’est de l’ordre de l’innovation technique, et j’ai envie de jouer avec. Alors évidemment après, je ne vais pas le faire gratuitement, mais là je trouvais que ça allait assez bien parce que c’est aussi une bande dessinée sur la perception et en l’occurrence — on en parlait — la perte de repères. Du coup j’aime bien trouver dans toutes mes BDs cette idée de la perception. Grimr avait cette perception hyper terrestre, fusionnelle à l’île d’Islande, Penss avait la perception d’un monde comme un germe, où il voyait le pli comme ressort de la vie. Avec Les Pizzlys, on est vraiment dans l’effacement du monde à cause de l’ultra technologie, du digital, cette espèce d’écran qui finalement nous empêche de faire rentrer le monde en nous. Et du coup j’ai trouvé ce « pattern » graphique consistant à mettre ce rose fluo qui revient à chaque fois que le personnage a des pertes de contact, des « crises » de dyslexie spatiale. Je suis allé à fond là-dedans, et j’ai trouvé ça aussi rigolo de faire débarquer ces trois jeunes orphelins parisiens ultra connectés, ultra modernes, dans une forêt d’Alaska où ils se retrouvent à faire du pistage et de la chasse avec avec leurs anoraks des années 90 aux couleurs fluo… On a utilisé un procédé spécial qui consiste à remplacer le magenta de la quadrichromie classique par un magenta fluo, ce qui fait que ce n’est pas juste du rose fluo, mais un rose fluo qui se mélange à toutes les autres couleurs. Bien souvent quand on est auteur, on a toujours cette petite déception entre les couleurs qu’on pouvait avoir sur l’écran et celles sur le papier. Le fluo a cette lumière qui rend tout ça assez puissant, et habituellement c’est impossible à obtenir en version imprimée parce que c’est de la fusion de couleurs, donc on aura toujours une déperdition de la lumière. En fait le fluo, et notamment le magenta fluo — comme il se mélange à toutes les couleurs —, fait le travail de la lumière de l’écran, mais il vient ramener quelque chose d’hyper lumineux. Et ça c’est assez génial parce que du coup j’obtiens aussi des violets que je ne peux pas obtenir d’habitude et des oranges hyper puissants aussi.
Benzine — Je trouve personnellement le travail éditorial très réussi. Je ne sais pas si ça correspond à ce que tu attendais par rapport à ce que tu voyais à l’écran…
Jérémie Moreau — Là en plus ça a été fait sur Photoshop. L’écran peut faire des couleurs plus lumineuses qu’à l’impression mais ne peut pas faire le fluo. Cependant, pour la première fois j’ai une version imprimée qui est plus puissante et plus saturée que ce que j’ai sur l’écran, et ça c’est vraiment chouette ! Il y a là une dimension de surprise. Je sais que quand je mets du rose, ça va être intensifié par le fluo. Quand on compare l’écran et le côté imprimé il y a une différence, il faut donc l’anticiper.
Benzine — Comment vois-tu le monde dans vingt ans, parce que là on voit que ça change vite et encore plus en Alaska que sous nos latitudes ?
Jérémie Moreau — J’avoue que je ne me projette pas en fait… et ça ne m’intéresse pas de me demander ce que ce sera… Il y a une phrase comme ça qui dit : « Ce qui est intéressant, ce n’est pas ce que cela va devenir mais ce qu’on fait aujourd’hui pour que ça devienne quelque chose. » Toute mon énergie je la mets à essayer de faire en sorte que ça devienne autre chose. Il y a cette phrase aussi d’un philosophe que j’aimais bien et qui est mort il y a deux trois ans, Bernard Stiegler, qui disait : « Le monde de demain est dans le cerveau des enfants. » C’est aussi comme ça que j’essaie de travailler la bande dessinée, en mettant dans le cerveau des enfants des choses différentes qui vont permettre de transformer le monde de demain. J’ai eu beaucoup de discussions sur le sujet avec mes amis aussi qui me demandent comment je peux être aussi optimiste. Pour tout dire, j’ai eu un moment un peu dépressif à l’époque de la collapsologie, quand on disait que tout pouvait s’effondrer, où moi-même j’ai eu peur en fait que tout s’arrête… J’ai l’impression qu’on a un peu changé de positionnement par rapport à ça et c’est sûrement la collapsologie qui a déclenché ça. A l’époque, je me suis mis à lire beaucoup de penseurs de l’écologie et du vivant qui me stimulaient énormément en fait, notamment Bruno Latour, Baptiste Morizot, plein de gens comme ça qui ont des propositions sur la façon de repenser la société. A mes amis, je leur réponds que mon impression est qu’on se trouve à un tournant de quelque chose et que je préfère me concentrer sur le positif. Il y a plein d’aspects positifs quelque part…
Benzine — Par rapport à ça, ton album fait du bien sans être d’un optimisme béat, parce qu’il décrit une situation très grave mais nous fait prendre un peu de hauteur, et ça c’est précieux… Dernière question : quel est l’album dont tu es le plus fier ?
Jérémie Moreau — J’ai toujours tendance à dire le dernier mais en fait j’ai des raisons d’aimer chacun. Peut-être que Penss est celui que je trouve le plus imparfait, au niveau du style et du propos… Pour cet album, je m’étais lancé dans quelque chose d’hyper compliqué et c’était un pari un peu étrange de vouloir adapter la pensée de Deleuze à la préhistoire, un truc hyper casse-gueule. Je pense que je me suis pris un peu les pieds dans le tapis… En dehors de celui-là, je suis très content de Max Winson, mon premier. Et pour La Saga de Grimr, je pense que j’ai touché quelque chose de fort dans la relation de l’humain au décor. Le Discours de la panthère je l’adore aussi, avec ce côté fable, histoires courtes, très universel et qui s’adresse aux enfants et aux adultes avec une grande simplicité, avec en plus le fait qu’il n’y ait pas d’humains, voilà je m’auto-congratule (rires).
Benzine — Merci Jérémie ! Il ne me reste qu’à souhaiter un beau succès aux Pizzlys !
Propos recueillis le 12 octobre 2022 à Paris.
Auteurs, ouvrages et références :
• Le Chant du monde, de Jean Giono
• Les Âmes sauvages : face à l’occident, la résistance d’un peuple d’Alaska, de Nastassja Martin (La Découverte, 2016)
• Retour du temps du mythe de Nastassja Martin et Baptiste Morizot, article publié dans le journal ISSUE, journal of art & design Head – Genève, 2018
• Payer la terre, de Joe Sacco (Futuropolis)
• Cerveau augmenté, homme diminué, de Miguel Benasayag (La Découverte, 2016)
• Où atterrir : Comment s’orienter en politique, de Bruno Latour (La Découverte , 2017)
• Bernard Stiegler, philosophe français qui axe sa réflexion sur les enjeux des mutations actuelles
• Gilles Deleuze, philosophe
• Pl@ntnet : identifiez une plante à partir d’une photo, et rejoignez un projet de sciences participatives sur la biodiversité végétale
• Spin Off : pendant underground du Festival d’Angoulême, SPIN OFF est l’événement de la micro-édition et de l’auto-édition.
• Quentin Blake, illustrateur et écrivain anglais, principalement connu pour ses dessins dans les livres pour enfants de Roald Dahl.
Les ouvrages publiés par Jérémie Moreau :
• Max Winson (Delcourt)
• Penss et les plis du monde (Delcourt)
• La Saga de Grimr (Delcourt)
• Le Singe de Hartlepool – scénario de Wilfrid Lupano (Delcourt)
• Le Discours de la panthère (Editions 2024)
• Tempête au haras – coscénario de Christophe Donner (Rue de Sèvres)