Le retour de Kendrick Lamar à l’Accor Arena quatre ans après son dernier passage était évidemment un événement… Mais un événement qui n’aura pas (complètement) convaincu tout le monde…
Il y a dix ans quasiment jour pour jour, sortait Good Kid, M.A.A.D City, classique instantané qui installa Kendrick Lamar comme une figure phare du rap contemporain. Entre temps, le rappeur a bénéficié d’une cote critique jamais démentie, en dépit des réserves de certains sur DAMN et son dernier double album Mr Morale and the big steppers. Il a décroché le Pulitzer pour DAMN et supervisé la BO de Black Panther. Surtout, il incarne un regard désabusé sur la violence des ghettos ainsi qu’une figure de rappeur « politiquement conscient » habité par le rêve très américain de voir une société dépasser ses fractures. Sur son dernier album, il est entre autres question de disputes de couples, de repentir des infidélités et de la généalogie d’une certaine masculinité toxique dans l’univers du ghetto. En 2018, il avait déjà rempli deux fois l’Accor Hotels Arena avec un concert dans l’ensemble minimaliste dans son approche, durant lequel il était globalement seul sur scène.
Avant Kendrick, il y eut deux premières parties de protégés du rappeur : d’abord Tanna Leone, dont la prestation n’a pas vraiment agité une Arena en train de se remplir ; ensuite, en mode chauffeur de salle, Baby Keem énergisa plus, dans une certaine mesure, la salle. Il reviendra lors du set de Kendrick pour un beau « duel » entre la star et son protégé…
Puis ce fut Kendrick Lamar, son charisme, son flow, son osmose avec le public tout au long de sa prestation. Il a été globalement plus impliqué qu’en 2018, où il semblait parfois confondre profil bas et platitude. Mais il y eut aussi la mise en scène du spectacle. Contrepied du minimalisme vu au même endroit en 2018 ? Volonté de se conformer à ce qui est attendu d’un performer de son statut ? On pourrait cependant dire que, sur ce point, n’est pas le Prince de la grande époque qui veut. Tous les parti pris accompagnant l’introspection narrée par son dernier album n’ont pas fonctionné. Admettons qu’une mise en scène de concert a besoin de choses symboliquement grossières, de contenus directement assimilables, surtout si elle souhaite faire partager un récit. Pas forcément de danseurs et de chorégraphies n’apportant souvent rien de plus à la prestation d’un artiste. Pas d’arrivée de danseurs sur scène façon défilé de mode ni de pyrotechnie gratuite avec des feux surgissant sur scène.
Ce qui aura fonctionné en revanche, c’est la voix off façon psychothérapie guidant Kendrick Lamar, et certaines des projections sur un rideau façon théâtre : l’ombre du couple se disputant, celle de Kendrick avec un dos criblé de flèches. Ou encore la tente dans laquelle ce dernier subit un test COVID avant que l’avant de la scène ne se transforme en podium permettant au rappeur de surplomber la foule : soit un beau résumé d’un concert mêlant gigantisme et récit très intime.
La soirée trouva ses meilleurs moments dans les morceaux emblématiques de ses trois premiers albums : ce Humble où il prêche l’humilité à son égo, un King Kunta convoquant à la fois la littérature sur l’esclavage (Racines d’Alex Haley) et James Brown (The Payback) pour raconter le mélange de puissance et de vulnérabilité lié à la notoriété, le tableau de l’alcoolisme de Swimming Pool et la lutte pour préserver son inspiration de Bitch don’t kill my vibe. Il a enfin évoqué au piano son incapacité à rassembler en dépit de son succès avec Crown, morceau du dernier album citant Henry IV de Shakespeare…
Le Kendrick vu à l’Arena fut un roi à moitié convaincant dans sa démonstration de force… mais certainement pas un usurpateur du trône.
Texte : Ordell Robbie
Photos : Ordell Robbie et captures d’écran YouTube