Après le film Suprêmes en 2021, cette fois c’est une mini-série épatante qui revient sur l’éclosion du hip hop en France à travers les figures de ce mouvement que sont Dee-Nasty, Assassin, Lady V et bien sûr Kool Shen et JoeyStarr.
On pouvait légitimement se demander l’intérêt d’une série comme Le Monde de Demain, alors que le souvenir du bouillonnant Suprêmes, biopic sur NTM réalisé par Audrey Estrougo sorti il y-a moins d’un an, était encore dans la mémoire de celles et ceux qui avaient su l’apprécier à sa juste valeur. Que raconter de plus ? Comment passer derrière Théo Christine, et surtout Sandor Funtek, dans les rôles des iconiques rappeurs du 93 ? Et surtout comment rallumer la fièvre ? A toutes ces questions, la série chapeautée par Katell Quillévéré et Hélier Cisterne apporte la plus belle des réponses ; Le Monde De Demain n’aura pas vraiment à souffrir de la comparaison puisqu’il raconte autre chose, et semble être presque le préambule de Suprêmes… pour s’inscrire finalement dans une même démarche globale à retranscrire l’émergence du hip-hop en France.
Plus qu’un simple biopic retraçant l’histoire de la formation de NTM avec la mutation de Bruno Lopes en Kool Shen et Didier Morville en JoeyStarr, Le Monde de Demain élargit le spectre en incluant comme personnage principal Daniel Bigeault, alias le DJ Dee-Nasty, véritable pionnier de la culture hip-hop en France. A travers le destin de ces trois là et de toutes celles et ceux qui vont graviter autour d’eux, la série dresse un portrait mélancolique d’un mouvement underground devenu aujourd’hui aussi mainstream que commercial en abandonnant certaines de se valeurs fondatrices.
Le film Suprêmes commence presque là ou se termine Le Monde de Demain, les deux projets ne se chevauchant que sur quelques péripéties contenues dans les deux derniers épisodes de la série. Dans une reconstitution très réussie et jamais tape à l’œil des années 80, la série nous replonge dans la nostalgie de l’époque des premiers graffitis, de l’animateur Sidney donnant des cours de breakdance à la télévision, des cassettes VHS, des 33 tours chourés chez les disquaires ; le tout saupoudré avec parcimonie d’un contexte social en mutation, avec la mort de Malik Oussekine, les émeutes de Vaulx-en-Velin et une jeunesse de banlieue qui commence à tourner en rond, et à croupir dans de profonds ressentiments. De ma province, je n’ai clairement pas vécu cette époque de l’intérieur, mais je me souviens encore des déflagrations en écoutant un titre comme, justement, Le Monde de Demain, aux paroles aussi visionnaires qu’aiguisées. Si la série retrace l’ascension de la comète NTM jusqu’à l’enregistrement de leur premier EP, il commence surtout par le tout début et l’amitié conflictuelle entre deux jeunes de quartiers qui voulaient juste kiffer en dansant et défonçant des murs.
C’est l’excellent Anthony Bajon qui incarne Bruno Lopes / Kool Shen, et il prouve une nouvelle fois qu’il est un extraordinaire comédien en devenir : moins mimétique que Sandor Funtek dans Suprêmes, il impose pourtant très vite un Kool Shen top coupe mulet, les pieds bien sur terre et déterminé à rêver plus haut. Dans le rôle de Didier Morvielle / JoeyStarr, le jeune et charismatique Melvin Promeneur est tout aussi convaincant dans l’exubérance de l’électron libre tout en verve et « provocation à la JoeyStarr ». La complicité des deux comédiens et l’osmose sont quasiment parfaites, et la série permet de lever un peu plus le voile sur l’amitié et la collaboration conflictuelle mais complémentaire entre les deux lascars. Si Suprêmes penchait plus vers l’histoire de JoeyStarr, Le monde de Demain s’avère bien plus équilibré en nous faisant pénétrer dans l’intimité des jeunes années de Kool Shen, sans pour autant oublier les rapports tendus et violents entre JoeyStarr et son père.
Mais Le Monde de Demain, c’est aussi l’histoire d’un personnage très attachant en la personne de DJ Dee-Nasty, un pionnier du Hip-Hop dont la timidité maladive et les épaules frêles de loser magnifique ne cadrent pas vraiment avec l’image caricaturale « rap et banlieue ». C’est le comédien Andaric Manet qui donne toute sa sensibilité un peu dégingandée au personnage, notamment dans sa touchante et tendue histoire d’amour avec la très rentre-dedans Béatrice (Léa Challet). Le film évoque aussi largement la place de la danseuse et graffeuse Lady V dans la vie sentimentale de Kool Shen, et remet enfin en lumière le rôle important de Solo et Rockin’ Squat du groupe Assassin dans l’explosion du rap français. La série porte un regard juste et sans pathos sur cette jeunesse dont les valeurs étaient, ne l’oublions pas « Peace Unity Love & Having Fun », et qui voulait se faire sa place au soleil, avant de muter lentement vers des revendications plus sociales et se faisant le porte voix d’une jeunesse oubliée.
Refusant d’emboîter la marche de leurs parents, s’accomplissant dans l’expression artistique, dynamitant les codes et les modes de l’époque, la révolution Hip-Hop était en marche, et Le Monde Demain, qui s’achève de manière anachronique sur le mélancolique titre That’s My People (1998), en est le magnifique témoin. Rêvant d’unité, d’entraide et d’un mouvement collectif global, le Hip-Hop allait très vite muter en une multitude d’individualismes aboutissant finalement à une pathétique culture du clash pleine d’ego trips. Le Monde de Demain propose un salutaire retour aux sources, car le hip-hop mérite bien mieux que l’image caricaturale qui lui colle encore trop souvent à la peau.
Pour appréhender le monde d’aujourd’hui, il conviendra de regarder Le Monde De Demain droit dans les yeux, et d’écouter encore et toujours NTM, dont les paroles resteront pour toujours bien plus pertinentes que trente ans de discours politiques stériles sur la banlieue.
Freddy K