Zéro surprise mais satisfaction maximale lors du passage hier soir de Dinosaur Jr. au Trabendo : un niveau sonore absurdement élevé, des morceaux formidables, un J. Mascis et un Lou Barlow égaux à eux-mêmes, que demander de plus ?
En avril 2021, Dinosaur Jr. publiait un excellent douzième album studio, Sweep It Into Space, mais nous avions été jusque là privés d’un passage à Paris : il nous aura fallu attendre un an et demi pour avoir le plaisir de voir et d’entendre quelques-uns de ses titres interprétés sur scène. Mais qu’importe, le Trabendo est blindé ce soir pour le retour de Mr. « Jay » Mascis, le grand sorcier de la guitare flamboyante, et seuls les plus fous d’entre nous se sont lancés dans ce concert de l’extrême sans protections auditives…
19h30 : c’est avec une demi-heure d’avance que débutent les hostilités. A priori, il s’agit de libérer la salle le plus tôt possible pour une soirée qui suivra le concert, et ce n’est pas cool pour Garcia Peoples qui doivent entamer leur set devant un maigre public. Ils font contre mauvaise fortune bon cœur et entament un concert généreux de 40 minutes qui va nous ramener dans la Californie de la fin des années 60, allez disons sur les traces du Grateful Dead. De longs morceaux de rock US classique, entre cavalcades dans le désert et psychédélisme souriant, avec de riches solos de guitare. Les musiciens se relaient au chant, et ils assurent tous dans un registre différent. Quelques montées en intensité occasionnelles montrent que le groupe en a sous la pédale. Tout est très agréable, parfois même vraiment engageant, et une bonne atmosphère cool règne dans un Trabendo qui ondule sous le signe d’un indiscutable plaisir musical. Garcia Peoples ne sont peut-être pas un groupe exceptionnel – il leur manque encore un petit quelque chose -, mais beaucoup de gens dans la salle déclareront ensuite avoir eu un coup de cœur pour cette musique.
20h30 : grâce à l’efficacité américaine bien typique, en guère plus de 15 minutes, le matériel des Garcia Peoples est démonté, et tout est prêt pour Dinosaur Jr. : J. Mascis s’installe devant son mur de Marshalls à lui, face à un ampli Fender qui lui sert de retour, devant son volumineux tableau de pédales d’effets, à côté de sa setlist écrite en très gros caractères (il faut deux feuilles A4 pour 16 chansons !), et les hostilités peuvent commencer. Nous nous sommes placés juste devant lui pour jouir pleinement du spectacle de sa virtuosité, au péril de notre ouïe. « Jay » dira juste bonjour en entrant et au revoir en sortant, sans jamais croiser le regard de son public : rien d’étonnant, à force, on connaît l’animal. C’est à Lou Barlow, de l’autre côté de la scène, que revient le job de la communication, tâche dont il s’acquitte d’ailleurs avec une belle jovialité.
Un premier morceau (The Lung) avec un niveau sonore presque raisonnable nous laisse espérer que, pour une fois, on entendra la voix de « Jay », mais c’est peine perdue : « Jay » tourne rapidement tous ses potentiomètres au maximum et commence à déverser sur nous la lave brûlante qui sort de sa guitare. Il n’y a plus qu’à oublier les chansons et s’immerger dans le volcan sonique. Quand il place son pied sur la pédale wah wah, on tremble presque, car l’agression redouble. Mais, peu à peu, on s’habitue et on prend un gros plaisir au spectacle de ce guitariste aussi singulier qu’hors pair.
Il reste qu’au bout de 45 minutes, au cours desquelles on aura eu droit à quatre morceaux du nouvel album, et en particulier les réussites que sont I Ain’t et surtout Garden composé et chanté par Lou Barlow, les choses ronronnent un peu… On se dit qu’il est temps d’entrer dans le vif du sujet. Pas de souci, c’est aussi le plan du groupe : à partir de The Wagon, les rythmes s’accélèrent, la guitare s’emballe, le public répond au quart de tour et ça commence à bien bouger. 30 minutes de ce traitement de lessiveuse emballée et nous sommes psychologiquement prêts pour un final d’apocalypse. C’est un Mountain Man chaotique et d’anthologie qui nous met le coup de grâce, juste avant l’incontournable Freak Scene et ses dérapages soniques incontrôlés. On clôt le set sur un long Forget the Swan des origines, qui permet à J. Mascis de nous offrir une démonstration quasiment complète de ses talents.
En rappel, et avant l’incontournable Just Like Heaven, Lou Barlow nous demande de choisir un titre qu’ils joueront : ce sera Watch the Corners qui sera retenu après quelques minutes de confusion qui rendent Barlow hilare… en lieu et place de Get Me qui est interprété la plupart du temps à ce moment, au grand dam de certains d’entre nous… Just like Heaven est un festival de wah wah et il est assez difficile de reconnaître le tube de The Cure, mais tout le monde est content de cette heure quarante d’excès sonore. Et tout le monde est en nage vu la température qui a fini par régner dans un Trabendo littéralement en surchauffe.
Dinosaur Jr. ont parfaitement rempli leur contrat ce soir, et ont sans aucun doute titillé la nostalgie des plus jeunes d’entre nous (hi, hi), ceux qui n’avaient que vingt ans en 1990. Espérons aussi qu’ils ont convaincu les enfants dans la salle, amenés dans ce lieu de perdition auditive par leurs parents fans du groupe, et heureusement protégés par de volumineux casques anti bruit !
Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil