Histoire d’amour à Karachi, sur fond d’enquête journalistique à propos de. Ou l’inverse. Olivier Truc écrit un polar sur l’attentat du 8 mai 2002 de Karachi, parce que c’est important de ne pas oublier les victimes et les assassins. Et l’amour, parce que c’est l’amour qui nous sauvera tout, même si nous ne connaîtrons jamais la vérité.
Voilà un polar qu’on a envie de trouver sympathique ! D’abord, la belle photo de Bashir Osman qui orne la couverture du roman, une libraire (un marchand de journaux?) qui déjà évoque Karachi et un rapport aux livres différent du notre… Pas encore ouvert le roman que déjà nous sommes dépaysés. Ensuite, il y a l’auteur : Olivier Truc. Journaliste, spécialiste des pays baltes et écrivain de polars encensés par la critique – la liste des récompenses et prix qu’il a reçus est longue comme un jour sans pain ! Forcément alléchant, même si vous n’avez jamais rien lu de lui. Et puis, évidemment, il y a le sujet… L’attentat du 8 mai 2002 à Karachi devant l’hôtel Sheraton, 14 morts (dont 11 français) et 18 blessés (12 français). Les Français décédés ce jour-là travaillaient à Karachi à la construction d’un sous-marin que la France avait vendu au Pakistan. Une affaire sordide, d’agents troubles, de commissions et de rétro-commissions supposées (rien n’a jamais été prouvé) financer une campagne pour les élections présidentielles en France… le genre d’affaire qui peut faire douter de la politique en un rien de temps. Et de la justice aussi quand même, puisque, comme l’écrit Olivier Truc, « 20 ans après l’attentat, les coupables au Pakistan n’ont été ni identifiés ni arrêtés. Le temps, peut-être de relancer l’enquête. »
Olivier Truc a donc relancé l’enquête. Il est allé à Cherbourg (d’où venaient les ingénieurs et ouvriers touchés par l’attentat). Il est allé à Karachi. Il a interviewé, collecté des informations. Il a fait un travail d’enquêteur, de journaliste d’investigation. Il n’est évidemment pas simple de trouver des preuves, après tout ce temps, pour étayer une thèse à propos de cet attentat. D’ailleurs, s’il avait trouvé des preuves, peut-être n’aurait-il pas écrit ce roman ! Comme le dit l’un des personnes principaux de ses sentiers obscures de Karachi, Jef (oui, avec un seul « f » !), quand on lui demande « Comment fait un journaliste qui n’arrivait pas à prouver ce qu’il voulait avancer. Il écrit des romans » (p. 207).
Parce que, comme Olivier Truc, Jef est journaliste. Et comme Olivier Truc, il mène l’enquête. Depuis Cherbourg où il vit et voit souffrir Marc, le père de son meilleur ami qui a été touché par l’attentat. Une relation d’amitiés se crée entre les deux hommes. Il veut l’aider, comprendre ce qui s’était passé et peut-être trouver quelque chose. Alors un jour, il décide de franchir le pas et va à Karachi. Il rencontre des personnes qui ont été touchées par l’attentat, tâtonne, trouve des pistes, tire des fils, en bon journaliste d’investigation qu’il rêvait d’être mais n’est pas (son quotidien est plutôt fait de comptes-rendus de la fête du cidre que d’enquêtes au long cours…). Bien aidé par Sara… dont il tombe amoureux. Forcément, cette lieutenante de la marine pakistanaise a de si grands yeux, Sara, qu’on ne peut pas ne pas en tomber amoureux. Et Sara tombe amoureuse de Jef (avec sa « barbe brune de quelques jours », ses « cheveux coiffés en arrière et le front dégagé » mais aussi avec son effronterie (il la regarde dans les yeux sans penser qu’il est à Karachi) et son obstination (à vouloir comprendre que ce Sara veut comprendre aussi depuis toujours). Forcément. De rencontres plus ou moins secrètes en déplacements à l’intérieur du pays, Jef va arriver à une solution. Le genre de solution qui permet « seulement » d’écrire un roman.
Oui, on a vraiment envie d’aimer Les sentiers obscures de Karachi. Mais, on n’y arrive pas totalement. Pourtant, on a bien l’impression qu’Olivier Truc a soulevé une pierre sous laquelle grouille des tas de choses crades que personne n’a jamais voulu voir ; même si ça grouille tellement qu’on a du mal à bien les distinguer. On comprend bien aussi l’antagonisme – surprenant a priori – entre les victimes à Cherbourg. On voyage aussi et vraiment jusque dans les rues encombrées, grouillantes, sales, pleine de bruit et de fureur de Karachi, dans le bazar, ses boutiques de livres et ses dédales… On goûte la superbe poésie ourdou. Mais Jef avec sa barbe et ses cheveux frisés a trop l’air de celui qui va tomber amoureux. Il semble aussi obstiné au-delà de ce qui est réaliste – mais peut-être est-ce justement ce que font les journalistes d’investigation. Et Sara… ah les yeux de Sara… pardon, Sara a trop l’air d’un mirage et leur bluette a décidément trop l’air d’une bluette.
Alain Marciano