Bien, bien meilleur que lors de ses précédents passages à Paris, le collectif canadien Crack Cloud a été terrassant ce soir au Trabendo : une heure dix d’une excellente musique passant du punk frénétique au free jazz contemplatif et au prog rock emphatique, et dégageant un bonheur irrépressible !
Crack Cloud au Trabendo – Photo : Robert Gil
Bien sûr, Pavement, l’un des groupes majeurs de l’Indie Rock est en ville ce soir… Mais tout de même, nous avons échoué à convaincre bien des amateurs d’être avec nous au Trabendo, plutôt que d’aller écouter dans l’écrin « tue-la-joie » du sinistre Grand Rex un groupe qui interprète trop bien ses « classiques » dont le plus grand intérêt résidait justement dans le fait que les musiciens savaient à peine les jouer… C’est que Crack Cloud, le collectif militant de Vancouver responsable de deux albums vivifiants, ne bénéficie pas encore en France d’une réputation à la hauteur de son talent musical, qui aurait pu nous aider à éviter à nos amis de faire une erreur dramatique… non, une faute grave !
Les préventes de la soirée n’ont donc pas été aussi bonnes qu’espérées, et quand Sébastien Forrester entame son set à 20h55, la salle paraît bien vide, même si l’on sait que nombre de spectateurs préfèrent rester sur la terrasse extérieure et profiter d’un été indien qui s’éternise sur Paris, par la grâce (?) du réchauffement climatique. Les grondements indus produits par les machines de Sébastien rameutent quand même du monde, assez en tout cas pour que la situation du musicien ne soit pas embarrassante. Il n’y aura pas grand-chose à dire sur cette musique techno abstraite, sombre et répétitive, sur laquelle on peut quand même feindre de danser, pendant que Sébastien martyrise ses baguettes en faisant des percussions improbables. C’est loin d’être inintéressant, mais disons que c’était un peu difficile, en live, de rentrer dans son trip. Le final s’avère quand même très ample, très dark et emphatique, et tirera pas mal d’applaudissements admiratifs du public.
A 20h40, derrière son ordinateur, ses lunettes noires, sa barbe noire et ses cheveux tout aussi noirs, Aleem’s Club s’ingénie à créer une ambiance… club « moderne » dans un Trabendo qui s’est rempli et n’en demandait sans doute pas tant. Tout le monde oscille gentiment et agite de temps en temps les bras quand on passe d’une ambiance électro lounge à des beats techno, puis à de la soul synthétique, des BOF kitsch de films imaginaires et du funk aux amphétamines… on pense reconnaître çà et là des morceaux de Prince et de Madonna : rien de nouveau sous le soleil, nous direz-vous ? Certes, certes… mais tant qu’on peut danser en souriant, où est le mal ? Sommes-nous dans une discothèque de Palavas-les-Flots à nous trémousser, tout en dragouillant nonchalamment notre voisine ou notre voisin ? Le set (?) d’Aleem Khan, le claviériste de Crack Cloud (car on l’a reconnu malgré son habile déguisement…) se conclut sur quelques « fuck ! » et « shit ! » et une invitation à écouter et acheter son album. Peut-être est-il temps de passer aux choses sérieuses, non ?
21h25 :… et pour être sérieuses, d’une certaine manière, les choses vont l’être : Crack Cloud, ce sont pour cette tournée treize (13 !) personnes sur scène, dont un groupe de cinq chanteuses et chanteurs sur une estrade à notre gauche, et une harpiste sur une autre à droite. Ça en impose ! La batterie de Zach Choy est comme toujours placée au milieu de la scène et en avant, le frérot William, portant désormais les cheveux orange, est à côté, et le reste de la troupe s’organise autour.
Le long premier morceau joué, avec une mise en avant des voix, est ample, lyrique, et sonne presque… rock progressif, traduisant l’évolution musicale du groupe. Mais pas d’inquiétude, on bascule très rapidement dans la folie furieuse dont on sait Crack Cloud capables : sur scène, il y a des chants et des danses – qui peuvent évoquer le Arcade Fire exalté des tous débuts -, de la guitare punk (William Choy sera notre idole de la soirée), des rythmes épileptiques et décalés (entre Talking Heads et les débuts dissonants de XTC, quand Andy Partridge était encore très énervé, comme un fabuleux Drab Measure qu’on aurait toujours bien vu sur le White Music des Anglais, ou encore un Crackin Up superbement colérique), des dérapages absurdes dans le chaos, conduits en particulier par un Aleem Khan déchaîné depuis qu’il a abandonné son costard étriqué de DJ.
Et le set, qui dépassera une heure, va jouer sur cette alternance entre de longues plages où les percussions et les deux saxos nous entraînent dans des trips très free jazz, avant d’exploser soudain de manière incontrôlable, des passages vocaux posés et planants ou d’autres, très emphatiques (Post Truth, inévitablement), qui lorgnent vers le rock progressif années 70, et puis ces brèves déflagrations punks où tout le monde devient littéralement hystérique, sur scène comme dans la salle… Car le public, en grande partie féminin, est à fond : chantant les paroles des hymnes du groupe, et sautant dans tous les sens comme un sac de haricots mexicains, les filles nous auront plusieurs fois sérieusement mis en danger au premier rang ! Comme ce fut le cas à la Maro il y a quelque jour avec Bass Drum of Death, mais en version nettement moins mâle cette fois, la frénésie punk gagne progressivement toute la salle, et croyez-nous, même si c’était physiquement épuisant (on comptera ses bleus plus tard, à la sortie), c’était très beau et très émouvant.
Rappelons que Crack Cloud est une association, formée en 2015, dont le but est de « déconstruire les stigmates sociaux » (entendez, aider les addicts en phase de réintégration dans la société, mais aussi les personnes exclues du fait de troubles mentaux) « à travers un contexte de créativité » (en faisant de la musique, des vidéos, des arts graphiques). Et cette approche explique largement le mélange décoiffant et passionnant de chaos et de création (« in the backyard », justement) que produit le collectif. Mais d’un autre côté, c’est sans doute inévitable et ce n’est pas une mauvaise chose du tout, le groupe lui-même s’est quand même « professionnalisé ». Au milieu du set, Zach, rompant avec son attitude habituelle de jeune punk arrogant, prend la parole avec une émotion inattendue, pour nous parler de sa surprise et son bonheur d’en être là en 2022, qui plus est avec ce groupe de choristes qui les accompagne… matérialisant ce qui était au départ un projet social marginal. C’est un très beau moment, qui confère à la soirée un sens particulier…
Contre toute attente, nous aurons droit à un rappel, grand moment improbable de joie générale, de bordel absolu, où tout le monde braille en chœur, sur scène comme dans la salle. Aleem Khan attise le feu avec son porte-voix, et à un moment-clé où tout bascule, nous reviennent des flashbacks inattendus de concerts des Béruriers Noirs. Quand nous sortons de cette heure de « libération créative », assez « déconstruits » physiquement et portant quelques « stigmates » de la soirée, nous croisons un ami resté dehors – le boulot, c’est le boulot ! – qui nous demande : « « C’était quoi, cette musique ? On aurait cru écouter un groupe alternatif français des années 80 ! ». Eh non, c’est juste un groupe alternatif canadien des années 20, mais c’est bel et bien le même esprit. Et ça décoiffe tout autant !
Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil
Bonjour,
Contrairement à ce que vous écrivez ce n’est pas une erreur dramatique (!) et encore moins une faute grave (!!) de ne pas aller voir les mêmes concerts que vous !!! Vous avez vraiment une vision étriquée et nombriliste de la chose et je vous retourne la critique : le concert de Pavement était trés bon sans votre présence !
A bon entendeur salut !
Bonjour
Vous avez parfaitement raison bien sûr. La seule chose, c’est que un peu de polémique amusante dynamise la lecture, non ? En tout cas, ça a fonctionné sur vous.
PS : ne prenez pas des choses superficielles autant au sérieux, et tout ira mieux.
Bien cordialement
Eric
Entendu. J’en parlerai à mon médecin voire à un psychologue afin de requérir leur diagnostic en la matière…