Ne cherchez plus le futur de la littérature fantastique, voire de la littérature américaine tout court, il s’appelle Stephen Graham Jones, et en plus d’écrire des livres haletants et terrifiants, il nous parle de son peuple toujours brisé par la colonisation européenne et le mépris des Blancs. Passionnant !
Un Bon Indien est un Indien Mort, la célèbre phrase attribuée au Général Sheridan, adepte brutal de la technique militaire de la « terre brûlée », est un titre parfait pour le dernier thriller fantastique de Stephen Graham Jones, un livre qui a été célébré y compris par le maître Stephen King lui-même. Car au XXIe siècle, les « véritables Américains » sont toujours discriminés, méprisés, humiliés, voire… battus et tués par les descendants des colons barbares qui ont exterminé leurs ancêtres. Mais ce génocide, jamais officiellement reconnu par le gouvernement états-unien toujours prompt à condamner ce qui se passe au delà de ses frontières, n’est pas le sujet du livre.
Stephen Graham Jones préfère nous parler avec une terrible lucidité de la manière dont son peuple s’autodétruit allègrement, à coup d’alcool, de violences domestiques et de pusillanimité générale. Et aussi aller chercher l’origine du mal à la racine, c’est à dire dans ce qu’il y a de plus sauvage dans les traditions indiennes : c’est parce qu’ils ont massacré illégalement un troupeau de caribous alors qu’ils braconnaient, que quatre amis sont hantés par la culpabilité d’avoir tué une jeune femelle enceinte. Mais est-ce seulement leur culpabilité qui les menace ?
Les deux premières parties du livre frôlent le sublime, et la manière dont Stephen Graham Jones maintient son récit à la lisière entre réalisme et basculement vers la folie est littéralement extraordinaire : du grand art, et ce d’autant que même dans les circonstances les plus extrêmes, l’auteur s’obstine à distiller un humour – parfois déroutant – probablement typique de la culture autochtone.
A partir du moment où le livre entre de plain pied dans le fantastique, il y a un risque pour le lecteur de décrocher devant la déception d’une indéniable simplification, ou tout au moins d’une « rationalisation » des enjeux (ce qui est paradoxal puisqu’on parle ici de fantastique !). La seconde partie du livre en est moins forte, mais débouche heureusement sur un affrontement au basket-ball inoubliable (particulièrement célébré par Stephen King, donc, qui parle du « match de basket-ball le plus terrifiant de tous les temps »…), avant un final bouleversant, qui nous laisse les larmes aux yeux.
Oui, Stephen Graham Jones est un écrivain formidable, et Stephen King – mais aussi tous les écrivains états-uniens, œuvrant dans le fantastique, le thriller ou pas – ferait bien de se méfier : la relève est prête. L’autre excellente nouvelle est que, bien sûr, il y a de bons indiens parmi les indiens vivants, n’en déplaise à ce salopard de Sheridan.
Eric Debarnot