Happy Halloween ! On trépignait avec impatience suite à l’annonce d’un retour du pape du stop-motion gothique. Même en pataugeant parfois dans le fouillis de son intrigue, Wendell & Wild parvient à combler la plupart de nos attentes.
Henry Selick est le genre d’artiste qui nous est précieux. Même si Tim Burton l’a largement éclipsé dans la postérité de Monsieur Jack (après tout, il est exact que le papa d’Edward avait écrit l’histoire et dessiné les personnages). Même si Monkeybone était… dispensable. Même s’il semble se traîner une poisse des enfers qui indignerait Guillermo Del Toro. Voilà déjà dix ans que Disney avait annoncé que Selick reviendrait chez Neil Gaiman (miam) pour adapter L’Etrange Vie de Nobody Owens (re-miam) en vue d’une sortie Pixar (re-re-miam). Avant d’annoncer que non, en fait, ce serait Ron Howard (pas miam du tout) qui récupérerait le bébé au vol. Depuis, plus de nouvelles. Même chose pour The Shadow King, arlésienne immédiatement passée à la déchireuse pour cause de dépassement de budget. Aux dernières nouvelles, rien n’a bougé, mais Selick en a récupéré les droits et ne désespère pas. Accrochons-nous avec lui.
Comme tout ce qui est précieux, l’ami Henry a donc tendance à se faire rare. Cinq films en trente ans, c’est bien peu pour un type aussi fêté (L’Étrange Noël, certes, mais aussi Coraline et James et la Pêche Géante, deux des adaptations les plus virtuoses de l’histoire du stop-motion). Certes, l’animation image par image prend un temps fou et coûte une blinde. Mais ça n’explique pas tout. Donc, fatalement, quand Netflix annonce avoir acquis l’un des nouveaux projets du monsieur, nos ventricules se dilatent et nos mirettes se mettent à perler avec ravissement. D’autant que Wendell & Wild est adapté d’un livre écrit par Selick et Clay Chapman. Un livre qui est… sans publication à ce jour. La poisse, toujours et encore. Bref, à défaut de pouvoir lire cette histoire, nous en avons maintenant le film parrainé par Netflix. Le produit fini justifie-il qu’on s’y intéresse ? Plutôt. Wendell & Wild est digne de quasiment tout l’amour qu’on lui réservait de toute façon, ne serait-ce qu’en tant que retour de son créateur après treize ans d’ellipse filmographique. On avait stocké quelques monceaux d’affection bien au chaud en prévision des retrouvailles, et il est très satisfaisant de pouvoir enfin les ressortir pour en badigeonner ce film. Ce qui ne veut pas dire qu’il est totalement exempt d’anicroches.
Wendell & Wild est presque aussi généreux dans ses défauts que dans sa volonté de bien faire. Le scénario est très, très, trèèès foisonnant pour un film en dessous de l’heure cinquante. Les sous-intrigues et les personnages secondaires se multiplient, ce qui n’est pas systématiquement pénalisant quand certaines composantes sont suggérées sans nécessiter une exploration de fond en comble. La transition du personnage de Raul, par exemple, est compréhensible sans devenir un point focal du récit, tout comme les événements précis ayant amené Kat en maison de correction. On devine, pas besoin d’en faire plus. Pour d’autres éléments, en revanche, on manque parfois de substance. La relation entre Siobhan et ses parents aurait mérité d’être exploitée bien plus profondément, surtout quand l’unique scène les réunissant arrive très tardivement dans le film. Le personnage de Ms Hunter, qui semble pourtant porter quelque chose de fort (un t-shirt à la gloire de Link Wray, ça ne peut pas être anodin), se révèle finalement très anecdotique. En outre, l’intrigue autour de l’incendie de la brasserie avait le potentiel d’un mystère à tiroirs. Est-ce le prêtre ? Est-ce le Trump black et sa femme Cruella Barbie ? Est-ce le vieux Brando en fauteuil ? Qui, pourquoi, comment, quand ? Cela aurait aussi été l’occasion de donner plus de relief au personnage de l’avocate et au rôle du conseil municipal dans la progression des événements. S’il n’est jamais très judicieux de fustiger un récit pour « ce qu’il aurait pu/dû être », le fait de dévoiler immédiatement le fin mot de cette histoire en fait un peu retomber les enjeux. On s’en accommodera, il le faudra.
La question de l’angle choisi par le film est elle aussi plutôt épineuse. Coming-of-age ? Fable sociale ? Comédie gothique ? Hommage aux films de monstres ? Wendell & Wild hésite souvent, choisit rarement et donne constamment l’impression de bâfrer dans une multitude de râteliers, rendant logiquement le goût qui en résulte un peu étrange. Un ressenti le plus souvent varié, mais forcément bancal par moments. Or, (et c’est là que nous en arrivons à ce qui fait tout de même la force du film) cette profusion d’idée est aussi celle d’une générosité bien difficile à repousser. Le film exulte, tente plein de choses et leurs contraires, s’amuse et part un peu dans tous les sens comme sous l’effet d’une libération décomplexée. Celle d’un projet finalement amené à son terme après des années de déconvenues. On sent la persistance, l’espoir et la joie dans cette volonté de tout donner sans véritablement en filtrer l’arrivage. Forcément, ça finit par nous procurer un plaisir indéniable, avec la ferveur submergeante que le bric à brac d’un magasin de jouets foutraques peut avoir sur l’enfant bizarre qui sommeille en chacun de nous (mais si, il suffit de lui pincer le pied et il se réveillera, croyez-moi).
Les trouvailles visuelles de Selick sont aussi là pour nous contenter. Deux démons en coloc dans les narines de leur papa, des nonnes-pingouins, un évêque tout peinturluré ou une collection d’abominations compactées, tant de petits plaisirs biscornus qu’on aurait bien mauvaise grâce de renier tant ils nous rappellent la singularité inestimable du réalisateur. Soulignons aussi une excellente BO qui rythme le film à coups de punk teigneux, comme pour admettre encore plus ouvertement son approche foutraque à fleur de peau. Entendre Death, The Brat et X-Ray Spex dans un film en 2022 est un plaisir que, pour ma part, je ne négligerai jamais. Vous êtes tout à fait libres de ne pas être d’accord, mais ce sera votre problème.
Les débordements divers et variés de Wendell & Wild peuvent régulièrement donner l’impression qu’il peine à contenir son univers dans un film de moins de deux heures, voire qu’une mini-série aurait peut-être été un format plus adapté. Néanmoins, au prix du médium, il est très peu probable que cela ait pu être envisageable. Pour le reste, le film est un beau cadeau étrange plein d’émotion parfois maladroite, d’énergie rafraîchissante, de bonne volonté thématique et d’originalité pétaradante. Un cocktail de saveurs tantôt discordantes, tantôt surprenantes, faisant preuve d’une ébouriffante générosité qui manque encore trop souvent à bien des productions grand public. Merci Tonton Selick, et à très bientôt, en espérant cette fois que l’attente sera moins longue.
Mattias Frances