Enseignante en arts plastiques et plasticienne, Nicole Benkemoun nous invite à redécouvrir Tintin et l’Alph-art. Dans cet ultime opus des Aventures de Tintin, Hergé mettait en scène sa passion pour l’art moderne.
Nicole Benkemoun débute par la relecture des albums afin d’en extraire les innombrables références artistiques, qu’elles soient intégrées dans l’histoire ou simples éléments des décors. Si Hergé soignait les contextes culturels de ses albums, le collectionneur d’art moderne s’inquiétait : comment distinguer les réels créateurs de leurs imitateurs ? Voire des tricheurs ? Ce sera le sujet de L’Alph-art.
Après deux histoires atypiques, car sans adversaires — l’ode à l’amitié (Tintin au Tibet) et le huis-clos sans enjeux (Les Bijoux de la Castafiore) — le duo Hergé/Tintin replonge dans une aventure classique, avec des meurtres et une enquête, des poursuites et des rebondissements, avec le retour de Rastapopulos. Pour l’occasion, le méphistophélique génie du mal se mue en dangereux gourou et trafiquant d’art.
Ralenti par la maladie, puis laissé inachevé par la mort d’Hergé, Tintin et L’Alph-Art devait être terminé par l’ami et assistant Bob de Moor, avant que l’héritière ne se ravise et abandonne le projet. Il ne sera publié (presque) en l’état qu’en 1986, puis dans un second format en 2004. Les pages de gauche rassemblent dialogues et didascalies, tandis que celles de droite présentent les crayonnés et les esquisses les plus abouties. Des agrandissements de détails illustrent le talent du dessinateur. L’album a été scénarisé pour s’achever sur la mise à mort de Tintin, ce qui n’était pas l’intention initiale.
Bien que tintinophile averti, j’ignorais tout de cette étrange bande dessinée. Or, l’implacable politique des ayants droit d’Hergé ayant interdit toute reproduction de Tintin, j’ai été contraint d’acquérir l’album. Un achat que je ne le regrette pas. Le lecteur découvre un album méconnu et envoutant. Il assiste, post mortem, au travail du Maître, de sa prise de notes aux premiers tracés, du crayonnage, de plus en plus précis, à l’aboutissement de la page prête à être encrée. « Notes, biffures, ratures, repentirs, errements, pistes multiples explorées révèlent la dynamique d’une pensée avec ses doutes, ses incertitudes. » La fameuse ligne claire, ce mince et précis trait noir, n’intervient qu’à la fin d’un laborieux accouchement. « Ces dessins préparatoires, impressionnants de présence et de maitrise, qui possèdent une puissance en eux-mêmes, nous font prendre conscience que la ligne claire n’est pas synonyme de simplicité, mais que c’est un combat long et difficile, une conquête gagnée sur le débordement et l’exaltation du geste. »
Nicole Benkemoun nous perd un peu dans de longues et érudites digressions sur l’art et les faussaires, avant de revenir sur la genèse de l’œuvre. Hergé ne se voyait pas en artiste, il aura lui-même tenté de peindre, avant d’y renoncer. Pour autant, en inventant la fameuse ligne claire, il contribua à la naissance du neuvième art. Elle s’attarde moins sur la création d’un scénario. En véritable auteur, Hergé improvisait largement : « Je sais d’où je pars et je sais à peu près où je veux arriver, mais le chemin que je prends dépend de ma fantaisie du moment. » Avouons-le, ce fantaisiste artiste nous a convié à de merveilleux voyages.
Stéphane de Boysson
La dernière aventure de Tintin et d’Hergé – L’Alph’art ou l’art de l’inachevé
Auteur : Nicole Benkemoun
Éditeur : Editions Sépia
Collection : Zoom sur Hergé
250 pages – 20 €
Parution : 12 octobre 2022
La dernière aventure de Tintin et d’Hergé – L’Alph’art ou l’art de l’inachevé — Extrait :