Le Ty Segall nouveau est arrivé ! et c’est encore un très bon cru. Ty range la disto au placard et revient, comme en 2013 avec l’excellent Sleeper, investir la Folk. Une Folk rugueuse, pleine d’aspérités, d’arêtes tranchantes. Un disque à tiroir, où l’âme profondément Folk du disque est parasité assez finement par les tripes profondément Rock du Californien. Un mélange subtil, parfaitement équilibré pour un album plus complexe qu’il ne le laisse paraître.
Je garde toujours, comme un souvenir ému, la première écoute d’un album de Ty Segall.
Je regarde ces objets comme les gosses regardent leurs cadeaux au pied du sapin le jour de Noël. Certains exagérément grands, pleins, prenant tout l’espace de la pièce, toute la vision de l’enfant fasciné. D’autres plus petits, plus discrets, dans un emballage splendide, un écrin rutilant laissant augurer la cherté du produit. Des papiers cadeaux de toutes sortes, se couvrant, se recouvrant les uns, les autres. Des papiers cadeaux comme autant de pochettes d’albums du sieur Ty: étranges, splendides, de mauvais goût ou simplement dégueulasse. Mais malgré cela, malgré la taille des présents, l’agencement anarchique des cadeaux et le mauvais goût de ces emballages, c’est toujours la certitude d’un Noël réussi.
On ouvre goulument ses paquets, on se jette dessus déchirant le papier pour accéder au Graal et c’est le bonheur de la découverte. Des cadeaux plein de bruits et de fureur, des bijoux scintillant d’étincelles électriques, un feu d’artifice dans un boîtier en plastique.
Oh celui-là ! J’ouvre ! Putain un Garage Rock sale comme le peigne de Zaz, plein de stridences et de parfaites imperfections (Lemons 2009).
Et celui-là ! Un pur joyau tout droit sorti des 60’s, avec ses bluettes adolescentes toutes mimi le tout parasité par un Punk Rock bien craspec. Comme si Iggy et ses Stooges se chopaient en tournante Frank Alamo au fond d’une cave. Un carnage ! (Le Ty Segall de 2009).
Oh, et celui-ci ! Sorte d’aboutissement bancal, de chef d’œuvre magnifiquement imparfait, d’équilibre improbable d’un early Ty musicalement insaisissable. Naviguant entre un Garage Rock gavé de fuzz brûlant ras la gueule et de morceaux Pop aussi déconstruits que le pauvre mari de Sandrine Rousseau (Manipulator, 2014).
Et le petit au fond ! Splendide revisite d’une Folk sans âge, une Folk trempée comme un buvard dans une fiole de psychotrope estampillée late 60’s. Segall débranche sa tronçonneuse à six cordes et laisse parler les roots acidifiées d’une Californie aux yeux rouges (Sleeper 2013)
Et tant d’autres ! Tant d’autres présents sous cet immense sapin de Noël qu’est le Rock’n’Roll, toutes ces merveilleuses offrandes annuelles que vient déposer ce père Noël blond comme les blés dans les chaussettes des rockers du monde entier.
C’est en Juillet de cette année que le père Ty Segall s’est donc décidé à revenir nous offrir sa dernière livraison de cadeaux.
En août 2021 le californien sortait Harmonizer où l’on sentait son envie d’explorer d’autres voies, des envies d’électronique qui venait perturber l’ordre classique Segallien: guitare/batterie. Un album étonnant qui enrichissait encore un peu – encore un peu plus ! – le Garage Rock de Ty.
Mais c’est au moment de le faire tourner, de faire vivre son Harmonizer sur scène que les confinements successifs ont réduit les chances de vie « live » de son disque. Plus de tournées, de moins en moins de scènes, l’hyperactif Ty ne tient plus en place et retourne s’enfermer en studio, son studio.
Ce sera un album de confinement. Et l’on sait les effets – pervers ou bénéfiques – que cette triste période a pu avoir sur les artistes. Mais c’est presque toujours la quête de soi, l’introspection comme moyen de ne pas sombrer, de rester au-dessus des peurs. Sortir quelque chose de soi pour exorciser son angoisse et prouver ainsi qu’on existe, qu’on bande encore.
C’est sur la pointe des pieds que l’on entre dans l’album, comme un soleil d’hiver qui percerait difficilement les fins rideaux d’une chambre à coucher et viendrait te réveiller d’une drôle de nuit (Good Morning). Une nuit de pandémie qui a gelé la terre entière sous des tonnes d’anxiété, un saisissement planétaire, une gueule de bois mondiale qui empêche d’ouvrir les yeux correctement et te cloue le fion au fond du lit. Pourtant il faut se lever, y retourner, dépasser les craintes et continuer le métier.
C’est la Folk qui plane sur le disque, la Folk de Segall. Une Folk aux paupières mi-closes et aux pupilles dilatées, une Folk dangereuse, imprévisible, qui peut muter, se transformer. D’abord sereine elle vient ouvrir l’album avec des petits joyaux d’une douceur réconfortante (Cement, Over) qui t’enferme dans un confort ouaté où la voix de Ty et cette guitare nue, déshabillée de ses artifices électriques finissent le travail d’apprivoisement de l’auditeur. Mais surgissant, comme surgit un diable de sa boîte, le morceau éponyme (Hello, Hi) vient nous rappeler que le Californien n’est pas qu’un Folkeux parfumé à la beuh mais bel et bien – et avant tout ! – un pur rocker en béton armé et nous le prouve sur ce morceau en fausse piste balançant sur tes pantoufles « spéciale Folk » une purée électrique revigorante.
Et des fausses pistes, l’album vient en offrir aux oreilles curieuses. Malgré une prédominance évidemment Folk (On pense au sublime album Sleeper de 2013), Ty Segall vient surprendre son auditeur, piégeant quelque peu la superbe quiétude de son disque. Looking at You par exemple offre les marqueurs de la douceur Folk, mais petit à petit les accords se font plus lourds, une légère distorsion accompagne sournoisement la guitare de Ty avant que le solo – court mais splendide – ne vienne tirer la chanson de sa propre rêverie avec un son étouffé, subtilement éraillé et magistralement compressé avant de s’éteindre laissant se terminer cette superbe chanson sur la sérénité du début.
Saturday Pt.2 pour sa part navigue sur les flots d’une Pop acoustique, délicate et bien ouvragée, quand le cuivre bourdonnant d’un saxophone (On pense inévitablement à la superbe My Lady’s on Fire sur l’excellent Freedom’s Goblin de 2018) survient pour déraciner de cette Pop-Folk terre à terre, un peu plan-plan, une belle fleur qui vient embaumer ce très joli titre.
Ty Segall finalement, grâce au confinement, revient nous servir cette Folk music qu’il a souvent titillé, à qui il avait offert une œuvre complète avec Sleeper et à laquelle il sait donner une couleur si particulière. Un album serein loin des violences saturées auquel le Punk Rocker nous avait habitué. Un disque de transition, où les thématiques, les genres se mêlent, se fondent discrètement en un bloc Folk où l’acoustique reste tout de même maître.
Alors que Segall offrait jusque là des albums compartimentés, monomaniaques, répartis chacun dans leur case, Hello, Hi vient apporter – un peu – d’éclectisme au sein du disque, une alternative au rigorisme du genre tout-puissant. Un équilibre nouveau pour Ty, dont les œuvres penchaient toujours d’un côté ou de l’autre de la balance.
Un skeud qui sous son apparente simplicité, son évidence Folk incontestable dissémine au fil des écoutes une jolie complexité, une richesse qui s’offre au fur et à mesure aux oreilles envoûtées des auditeurs. Comme une envie de se le remettre encore, et encore…
Une nouvelle réussite à mettre au crédit du Californien. Cela devient habituel…et c’est tant mieux !