Encore une nouvelle histoire vraie de serial killer US : Netflix persiste et signe avec ce The Good Nurse dont le plus grand intérêt, outre l’interprétation parfaite de Jessica Chastain, est la dénonciation d’un système hospitalier parfaitement inhumain.
Il est impossible de nier que l’obsession de Netflix pour les « true stories » de meurtres sordides, et en particulier d’histoires de serial killers, commence à s’avérer gênante : le règne du tiroir-caisse autorise clairement tous les compromis avec l’éthique, même si, comme dans le cas exemplaire de Dahmer, une indéniable qualité artistique permet à la plateforme de se défendre contre les accusations qui fleurissent un peu partout (… surtout en Europe, en fait, car il n’est pas sûr que qui que ce soit aux USA y voit le moindre problème).
Meurtres sans ordonnance (un titre français vulgaire et crétin, peut-être supposé appâter parmi les vieux cinéphiles ceux qui se souviendraient éventuellement du film de Jacques Rouffio, Sept Morts sur Ordonnance, datant quand même de 1975 ?), ou plutôt The Good Nurse en VO, revient donc sur le cas de James Cullen, infirmier s’amusant (car il n’y a guère eu d’explication solide à son comportement) à exterminer discrètement les patients des hôpitaux successifs dans lesquels il a travaillé en injectant insuline et digoxyn, un médicament pour le cœur, dans les poches de sérum pour intraveineuses. Le film se concentre sur la manière dont la police finit, après des années de méfaits passés sous le radar, à l’identifier, puis à l’arrêter grâce à l’aide d’une collègue infirmière, Amy Loughren.
Si l’on se réfère à ce que Wikipédia nous dit de cette horrible histoire – des dizaines de victimes ont été officiellement recensées, mais on soupçonne Cullen d’approcher la centaine de meurtres -, le scénario de The Good Nurse est assez proche de la réalité, même si l’on peut soupçonner la relation amicale entre Cullen et Loughren d’être largement fictionnelle pour conférer au film des tonalités émotionnelles à une histoire qui serait sinon d’une froideur désespérante.
Et c’est finalement cette hésitation inutile entre émotions assez conventionnelles (la douleur d’un mari, les crises entre Amy et ses filles qui se plaignent de ne pas la voir assez, l’amitié entre les deux protagonistes) et le ton glacial et analytique du film qui l’empêche d’être aussi convaincant qu’il aurait pu l’être. Pourtant, le très compétent réalisateur danois Tobias Lindholm (la série The Investigation, une participation à la première saison de Mindhunter, le long-métrage A War) fait tout ce qu’il peut pour anesthésier son film dans les couleurs ternes d’un hiver perpétuel, et ralentir le rythme d’une enquête perpétuellement gênée par les manœuvres des hôpitaux qui cherchent par tous les moyens à éviter des poursuites judiciaires et se lavent les mains des crimes commis.
Le choix d’une pointure comme la géniale Jessica Chastain, qui livre une autre interprétation de très haut niveau, sans effets abusifs pour un personnage pourtant chargé par le scénario (mère célibataire se débattant contre des problèmes cardiaques) assure heureusement au film une vraie noblesse de ton. Et le souvent peu convaincant Eddie Redmayne (de sinistre mémoire du fait de ses interprétations pitoyables dans les Animaux Fantastiques) est clairement tiré vers le haut à chaque scène face à la grande Jessica. Le casting comporte en outre le toujours impeccable Noah Emmerich, accompagné d’un très bon Nnamdi Asomugha pour composer une paire de flics effarés devant l’ampleur de ce qu’ils découvrent.
Mais finalement, étant donné l’énigme irrésolue que représente la personnalité et les mobiles de Cullen, et le flottement inutile du film entre émotion et froideur, ce qui passionne vraiment dans The Good Nurse, c’est la description effarante des pratiques (réelles, même si cela semble incroyable) des entreprises capitalistes sans âme que sont ces grands hôpitaux américains, pour qui, clairement, la vie de leurs patients passe bien après la préservation de leurs intérêts financiers, sans même parler de morale la plus élémentaire. On découvre ici un milieu, sensé soigner et guérir des patients, et en fait totalement déshumanisé, au sein duquel un serial killer a pu agir quasiment sans se cacher et en toute impunité durant 16 ans…
Bientôt près de chez nous, en France, si les réformes successives des hôpitaux poursuivent ce qui a été entrepris par plusieurs de nos gouvernements successifs ?
Eric Debarnot