Si on ne sait toujours pas qui a cassé le vase de Soissons, désormais on sait peut-être comment la célèbre bataille de Valmy a été gagnée. Une réécriture grivoise et jubilatoire de cet épisode décisif de l’Histoire de France.
Avril 1792. L’indiscipline et le chaos gagnent les rangs de la nouvelle armée révolutionnaire française. Les soldats plébéiens n’hésitent pas à se rebeller contre leur commandement aristocratique, allant jusqu’à tuer un de leurs généraux. En face, le camp autrichien est bien décidé à renvoyer aux oubliettes de l’Histoire la Révolution française et à mettre en pièce son armée, avec l’aide des monarchies européennes et des émigrés royalistes. C’était sans compter sur le dragon Pierre-Marie Dragon, qui contribua à la victoire de son armée à Valmy lors d’une bataille cruciale qui assura l’enracinement de la Révolution et l’emprise territoriale de la France. Beau parleur, lâche, vénal et surtout obsédé sexuel, ce dragon n’avait pourtant rien des qualités requises pour en faire un héros de guerre…
N’ayant jamais eu un goût prononcé pour les grandes batailles historiques, cette bande dessinée ne m’a pas tant attiré pour son sujet en lui-même que pour la façon iconoclaste dont il promettait d’être traité. Nicolas Juncker, auteur dont l’appétence pour l’Histoire se vérifie à travers plusieurs de ses ouvrages (dont les remarqués Seules à Berlin et Un général, des généraux), s’est donc emparé de cette fameuse bataille de Valmy, considérée comme décisive pour la France révolutionnaire, alors que paradoxalement, la victoire fut obtenue sans grande résistance de la part de l’ennemi. Il a ainsi introduit son grain de sable fictionnel dans cette grosse machine un brin figée qu’est l’Histoire de France, ce qui provoquera peut-être quelques toussotements chez ses scrupuleux gardiens.
Ce que l’on apprécie, c’est l’angle original et espiègle sous lequel est abordé ce récit. Ou comment un soldat imaginaire, Pierre-Marie Dragon, lâche et veule, mais à la sexualité débridée va faire gagner la guerre au camp révolutionnaire… Cette fiction historique serait-elle de la part des auteurs une sorte de métaphore antimilitariste suggérant que la révolution peut être aussi sexuelle, et que tant qu’on b****, on ne pense pas à tuer son prochain ? Dragon adore enfoncer son « sabre enflammé » dans toutes les fesses qui passent à sa portée, qu’elles soient lisses comme la pêche ou velues comme le kiwi. C’est plus fort que lui et ça passe crème (si on peut dire) !
Trop vieux de deux cent ans, le dragon Dragon n’a jamais milité en faveur de la libération sexuelle, ni défilé à la Gay Pride, non, le jeune étalon s’en moque bien, pense d’abord à son plaisir immédiat et ne demande la permission à personne pour tâter du fessier. Chez ce fieffé roublard, tout est dans le ça, aucune place pour le surmoi. Et si l’on vient à se refuser à lui, il a, d’une façon presque candide, beaucoup de mal à le comprendre ! Mettre la main au fondement d’un futur roi (Louis-Philippe en l’occurrence) ne lui donne pas froid aux yeux. Sa liberté est littéralement indécente voire obscène et pourtant, nul ne songe à l’incriminer ou à le faire pendre ! S’en sortirait-il mieux de nos jours ? S’il vivait aujourd’hui, nul doute que sa conduite lubrique (on peut y voir bien sûr une forme de harcèlement mais il n’est jamais question de viol ni a fortiori de violence) serait vilipendée sur les réseaux sociaux ! Cela en fait-il pour autant un être détestable ?
Le plus étonnant, c’est qu’il parvient même à se rendre attachant, ce dragon plus matois que malfaisant, malgré sa couardise qui en fait l’opposé d’un mâle dominant. Simplement, il ne peut se passer de sexe plus d’une heure, une activité aussi vitale pour lui que manger ou respirer. Comme on peut s’y attendre, cela créé moult situations cocasses auxquelles il est difficile de contenir un fou-rire.
Simon Spruyt délaisse le superbe style vaporeux et impressionniste de son Tambour de la Moskova pour une approche plus « grand public », en optant pour des contours clarificateurs et des couleurs simplifiées. L’ensemble demeure d’une belle qualité, l’auteur possède une patte bien à lui et on appréciera particulièrement ses planches inspirées de gravures d’époque qui contribuent à casser le rythme du récit.
Si Valmy c’est fini, cet épisode ne fait que marquer le début des aventures de notre dragon, et l’on se dit que l’on remettrait volontiers les couverts… C’est une lecture assez jubilatoire, qui évoquera à certains le ton rabelaisien du regretté Jean Teulé, disparu tout récemment. Une des BD les plus politiquement incorrectes de ces dernières années et un vrai coup de cœur.
Laurent Proudhon