S’il y a des concerts qu’on vient voir pour écouter en live ses chansons préférées, il y en a aussi qu’on va voir pour une performance, pratiquée par des artistes uniques en leur genre. Et grâce à leur leader-chanteur-danseur emblématique, Future Islands a autant pour ravir les oreilles que les yeux du public de l’Olympia.
Samuel Herring (appelons le Sam) déclarait dans une interview qu’aux débuts de Future Islands, quand ils jouaient dans des bars miteux, l’intérêt du public n’était pas forcément là. Couplé à une sonorisation pas toujours suffisante, ce fan d’art performatif eu alors l’idée d’exprimer le plus possible les paroles de ses chansons par le corps. Sans le vouloir, il deviendra alors l’attraction principale de la formation de Greenville.
Mais, pour l’instant, il est seulement 20h, et la toute jeune formation de Laundromat débarque sur scène. Pas de performance scénique dingue dans leur cas, il aurait sans doute été bête de les attendre sur ce point là. Par contre, leur musique est plus marquée rock que ce qui nous attendra par la suite. Des mélodies efficaces couplées à une voix légèrement saturée donnant ce style typiquement british qui fonctionne sur le public et permet à tout le monde de se chauffer tranquillement. Une fois la scène timidement quittée, c’est au public de commencer à s’amasser un peu plus massivement dans la fosse, beaucoup étant déjà au fait du spectacle à venir. Un public étonnamment jeune pour un groupe qui approche pourtant les 20 ans de carrière, mais qui a connu un regain de popularité dans le milieu des années 2010.
Et c’est donc à 21h pétante – le temps d’une intro musicale un poil trop longue – que les musiciens qu’on avait aperçu au soundcheck débarquent triomphalement sur scène. Pas le temps de se mouiller la nuque, dès le premier refrain de For Sure, Sam entame les premiers pas de danse, qui ont fait sa réputation. C’est bien simple, comme il l’affirmait, l’énergie est une boucle, il donne de sa personne, les gens crient et applaudissent, et il se donne donc encore plus. Ce qui en version studio ne s’apparente qu’à une douce musique pop, se transforme ici en un théâtre fou. Mimant aussi bien un fumeur (Hit the Coast) que quelqu’un qui attend de longs instants après avoir chanté I’ve been waiting on you (Seasons), Sam incarne à la perfection ses paroles. On peut même parler de possession tant une violence semble s’échapper de certains instants, l’homme manquant alors d’arracher son t-shirt (ou sa cage thoracique) aussi bien qu’il peut se gifler ou se cogner la tête par terre. Et pourtant chaque fois le public en redemande.
Si une telle libération du corps est possible, c’est parce que le leader de Future Islands peut s’appuyer sur trois piliers imperturbables : Gerrit Welmers aux claviers, William Cashion à la basse et Michael Lowry à la batterie (récemment officialisé comme membre du groupe) livrent un set parfait en tout, mais dénué de la moindre interaction avec le public et de toute envolée scénique. On aura bien des moments musicaux surprenants avec des intros percussives (Tin Man entre autres) ou une basse distordue sortie de nulle part et qui surprendra tout le monde sur Little Dreamer, mais les trois hommes restent globalement stoïques le long du set pour mieux mettre en avant le show principal.
La scénographie va ainsi dans ce sens puisque les musiciens surélevés en hauteur et placé à l’arrière, tout de noirs vêtus se mélangent agréablement bien aux différentes ambiances colorés sommaires (couleur pêche pour le morceau Peaches) sur la structure blanche qui se trouvent derrière eux. Un habillage sobre qui saura tout de même relever les moments importants (le retour pêchu pour le rappel avec Inch of Dust par exemple).
La setlist surprend par le placement du tube phare Seasons (Waiting on You) bien avant la fin du spectacle, mais le public ne semble pas désarmé par la suite et s’amuse sur chaque morceau. Il faut dire que Future Islands, c’est une formule qui marche, mais une formule déroulée tout du long. Une ligne basse soutenue, un synthé enchanteur et une batterie simple mais efficace. Quelques morceaux finissent fatalement par se ressembler mais l’avantage est que l’effet est aussi toujours réussi puisque chaque refrain, dynamité par la furie de Sam, emporte le public qui saute, applaudit et danse en rythme. La température monte bien vite, et on a de l’empathie pour le chanteur qui en à peine deux morceaux sue à grosses gouttes, dans un t-shirt bon pour le séchoir. Cela lui permettra même de glisser ventre à terre sur Long Flight, à la surprise générale.
On pourrait écrire des heures sur chaque geste de Sam, qui marquera les esprits encore bien après que les dernières notes aient résonné. Certains s’amusent même à growler pour l’imiter, mais seul lui sait aussi bien apporter sa rage dans une musique pourtant si douce. On ne peut se lasser de le voir arracher le sol ou devenir complètement schizophrène sur Peaches. Et même à la reprise, après le rappel (où il faut le noter, de l’eau était distribuée au premier rang, une intention forte sympathique) qui n’était pas la partie la plus intense du show comme pouvait l’être Light House, Sam donne de sa personne encore et encore. La performance est totale et nous avons affaire à quelqu’un de la trempe de ces artistes qui vivent leur métier à 200%, sans concession et peur d’un regard extérieur, puisque de toute façon ce dernier a été bienveillant tout du long. Un amour entretenu et à son maximum quand en introduction de l’ultime morceau, Little Dreamer, l’homme de presque 40 ans, mais qui a toujours l’énergie d’un adolescent, nous parle de son passé sentimental difficile. On le sent réellement ému, aussi VRAI que quand il regarde quelqu’un au hasard dans l’assistance droit dans les yeux. Un regard perçant, profond et qui dit mille choses. Un échange unique car au fond, comme il est chanté sur leur tube, les gens gagnent une paix, mais en perdent une aussi.
Texte : Kévin Mermin
Photos : Robert Gil