Dès la vitrine, la couverture surprend. L’ouvrage a été précocement vieilli et pourrait avoir été retiré des ruines d’un bâtiment administratif. Soulignée par sticker rouge annonçant des révélations, l’accroche est forte : « Découvrez toute la vérité. Un livre choc à mettre entre toutes les mains. »
Vous saurez tout, la promesse rappelle celle du Grand Secret de René Barjavel qui, enfant, m’a tant intrigué. Curieusement, le scénario de Pierre-Yves Cezard a scindé son livre en deux. Conforme à la promesse, la première partie décrit le monde des « vérités » alternatives. Joseph, un étudiant poursuit une thèse sur l’« histoire comparée des théories alternatives en géographie à travers les âges ». Pour vivre, il travaille dans une librairie ésotérique parisienne. Serge, son patron, écrit et publie des livres curieux, on y traite d’ufologie, de complots et de grands secrets. La terre pourrait être plate et les pôles cacher des portails extraterrestres. Défendant sa position de scientifique, Joseph sourit, Serge en prend ombrage. Or, Joseph a la surprise de constater que ces livres se vendent, qu’il y a un public pour le paranormal.
Jadis, l’ésotérisme rassemblait des doctrines philosophiques ou religieuses dont l’accès au contenu supposait une initiation, qui distinguait le pauvre type de l’initié. Les initiés se cachaient. Le monde a changé, les ufologues animent des blogues et des émissions sur Youtube. S’ils n’ont pas accès aux médias ou à l’université, ils en tirent gloire et se disent victimes de persécution. Rationnel, Joseph est décrété « formaté par le système ». L’ésotérisme a cédé la place au complotisme commercial. L’ufologue se présente en martyr et en profite pour vendre livres et conférences.
Dans une seconde partie, Serge et ses amis montent une expédition pour le pôle Sud sensée dévoiler la vérité. Une tempête survint et… à l’image des héros de la série Lost, Joseph bascule dans un monde alternatif, la synthèse des théories les plus folles : la terre est plate, la planète se meurt et les extraterrestres se cachent. La démonstration vire à la science-fiction, à moins que Joseph, tel le héros en demi-vie d’Ubik de Philip K. Dick, soit prisonnier des fantasmes des ufologues.
Bien que rapide, le dessin est très agréable à lire. Classiquement, il conjugue une ligne claire tracée à l’encre et un lavis bien travaillé. Les ufologues sont loufoques et la surprise de Joseph parfaitement rendue. Si la démonstration scientifique par l’absurde de l’ineptie des ufologues est un peu lourde, l’imagination de Pierre-Yves Cezard est riche.
Stéphane de Boysson