Lotfy Nathan dresse le constat, amer, de la révolution tunisienne de 2010 à travers un jeune miséreux rêvant d’une vie meilleure. Si l’intention est louable, et le propos puissant, indiscutable dans sa vérité et sa sinistre actualité, c’est dans sa forme qu’Harka ne convainc pas.
La sortie d’Harka ce mois-ci vient, tristement, rappeler l’amère réalité de la Tunisie : ils s’appelaient Mohamed Bouazizi et Mohamed Amine Dridi et, à presque douze ans d’intervalle (17 décembre 2010 et 24 septembre 2022), ils se sont suicidés (et d’autres comme eux, au fil des années) parce qu’ils n’en pouvaient plus. Pris à la gorge, à bout, ras-le-bol. Du chômage, de la pauvreté, de l’injustice, des inégalités, des humiliations, de la corruption de la police et de l’inanité d’un État préférant réprimer dans le sang. La mort de Mohamed Bouazizi entraînera la révolution tunisienne et la chute du régime de Zine el-Abidine Ben Ali. Puis le Printemps arabe. Qui n’aura servi à rien. Une chimère.
Avec Harka, Lotfy Nathan en dresse une sorte de constat, terrible. Car plus de dix ans après cette révolution porteuse de tant de promesses pour une jeunesse totalement asphyxiée, sans avenir et sans aspiration, sans rêve sinon celui d’une fuite en Europe au mieux vivre illusoire, rien n’a changé, et serait-ce même pire ? La colère et le désespoir sont toujours là, à vif, bouillonnants sous le soleil carnassier de Sidi Bouzid, où tout a commencé. À travers le personnage d’Ali, jeune tunisien miséreux aspirant à une vie meilleure pour lui et sa famille mais rattrapé, quoi qu’il fasse, par le réel, c’est ce sentiment d’échec et de frustration que Nathan nous donne à voir et à comprendre.
Intention louable évidemment, et propos puissant, indiscutable dans sa vérité et sa sinistre actualité. Mais c’est dans la manière qu’Harka ne convainc pas. Le déroulement et l’enchaînement des situations, au gré d’un rythme mou, ont quelque chose de forcé, parfois même de démonstratif (par exemple le final, et malgré sa charge symbolique), et cette espèce d’accumulation de revers et de coups du sort finit par nuire à ce que Nathan veut évoquer et dénoncer. Et puis le film manque étrangement d’incarnation (dû sans doute au jeu atone des acteurs, pour la majorité non professionnels), et il n’y a bien qu’Adam Bessa, fiévreux et incandescent, qui lui offre une incroyable présence et le porte avec force. Le transperce, et nous avec, de son regard noir intense, à la fois déterminé et vaincu.
Michaël Pigé