Deux soirs de suite, les vétérans de Frustration ont fait la fête et mis le feu à notre chère Maro. On y était pour la seconde soirée, et on vous raconte la folie…
Soirée punk rock incontournable dans notre chère Maroquinerie : après un premier soir – déjà complet – qu’on nous dit avoir été très remuant, les Parisiens de Frustration font un bis pour fêter leurs 20 ans d’anniversaire, précédés de deux premières parties qui sont différentes de celles de la veille.
Si l’entrée du public est compliquée par des problèmes inhabituels de scan des billets, la salle est quand même déjà bien remplie à 20h : c’est que Bracco sont très attendus eux aussi avec leur electropunk minimaliste, qui a souvent des accents 90’s. Ils ne sont que deux pour faire un raffut d’enfer, qui fait se rencontrer techno et punk rock : l’un est aux machines et aux percussions, l’autre au chant (glapissements monochromatiques comme il se doit), à la guitare (jouée ou simplement flagellée à coups de baguettes) et au strip tease. Le résultat est sauvage, intense, ouvert à tous les délires : le chanteur est rapidement en slip, qu’il triture en hurlant, exposant aléatoirement des fragments de son anatomie. Théoriquement, c’est tout ce que nous aimons, disons pour citer des grands noms « Nine Inch Nails meet Psychotic Monks », il manque juste un petit quelque chose pour que ce soit réellement passionnant. Des morceaux plus originaux peut-être, qui transcendent le jusqu’au-boutisme sympathique de la démarche ? En tous cas, on passe une excellente demi-heure, avec une Maroquinerie qui monte déjà un palier dans l’excitation…
20h50 : De Ambassade sont néerlandais et bénéficient donc a priori de notre attention, vu la qualité de la scène locale. Très rapidement, on déchante devant l’inertie arty qui se dégage autant de la musique que des musiciens, qui se contentent de ne rien faire en ondulant sur sur des sons pré-enregistrés. Le « chanteur », du genre tête-à-claques, se plaint de la chaleur (alors que, objectivement, la salle est encore fraîche…), et ricane de manière désagréable. Son chant passé par les machines est lugubre, monocorde et rapidement somnifère, et rien ne se passe pendant une bonne demi-heure. Si les deux derniers morceaux s’avèrent un peu plus intéressants, ils respectent une sorte de dogme eighties – comme une version délavée de New Order et Orchestral Manœuvres in the Dark, posée sur des beats de discothèque lambda. Ils nous donnent donc une furieuse impression de copie confuse de musiques qui ont été grandes il y a 40 ans, et qu’ils n’ont pas vraiment assimilées. 40 minutes d’ennui profond, qui feraient presque chuter l’ambiance…
21h50 : Voici donc vingt ans que Frustration défendent les principes d’une vague punk « à l’anglaise », avec rage, générosité, humour, et tout ce qu’il faut pour être aujourd’hui qualifiés de vétérans sans qu’il y ait la moindre connotation négative dans le terme. Et puis, comme nous chuchote à l’oreille un ami qui les connaît depuis leurs débuts, ils ont aussi fait de gros progrès musicalement ! Bref, c’est du punk qui trouve ses sources dans la vague ’77 et dans la cold wave qui suivit, mais qui se défend bien à une époque où la concurrence des plus jeunes talents est rude… Avec l’appui d’une salle bourrée et totalement dédiée à leur cause, ils vont nous offrir un set profondément rock’n’roll – qui plus est mâtiné d’électro ludique – et totalement réjouissant pendant une heure vingt, dépassant même les 23 heures du couvre-feu officiel de la salle.
L’intro électro / cold wave de Worries en forme de montée en puissance ludique, théâtrale, montre que le groupe n’est pas qu’une simple copie des grands modèles de l’âge punk, même si le kick start est immédiatement ensuite actionné avec un Adrénaline de la première époque. Tout le monde sourit dans la fosse et saute dans tous les sens (… alors que le public de Frustration n’a pas toujours très bonne réputation, avec quelques éléments incontrôlés qui peuvent rendre l’ambiance moins sympathique… mais ce ne sera pas le cas ce soir, heureusement…). Le son est excellent, la température restera supportable durant la majeure partie du set, le plaisir de danser ensemble sur des morceaux immédiatement évidents pour des gens qui ne connaîtraient pas les albums du groupe, tout se conjugue pour une fête (bis) d’anniversaire parfaitement réussie.
Sur scène, le groupe souffle le chaud et le froid : Fabrice, le chanteur, reste sérieux comme un pape tout au long du set, tandis que Fred (aux claviers) et Nicus (à la guitare) ne font que se marrer, visiblement tout heureux d’être là. Juste devant nous, le « petit jeune » du groupe, l’impressionnant bassiste Pat D abat un travail monstrueux dans la lignée de Jean-Jacques Burnel et de Peter Hook, tout en conservant une « punk attitude » parfaite… presque jusqu’à la fin quand il sautera dans la fosse avec sa basse et son micro pour enlacer sa tendre moitié, sous les applaudissements des fans.
Il est parfaitement inutile de vouloir énumérer tous les titres d’une setlist qui, tout en soulignant le dernier album, So Cold Streams, datant de 2019 (quatre morceaux), revisite un peu toutes les périodes du groupe : même si chaque chanson – même celles que l’on ne connaît pas – est suffisamment accrocheuse pour nous captiver, le tout finit par se dissoudre dans le chaos général et l’esprit de fête qui souffle sur une Maroquinerie qui rayonne de joie. Lorsque le groupe lâche les paillettes et les ballons, plus personne ne tient debout, c’est la chute des dominos, alors que les slammers s’écrasent un peu partout, que la scène est envahie, et que les plus audacieux (ou les plus allumés) improvisent des strip-teases douteux. Survient ce moment surnaturel où plus rien ne semble avoir de sens, et la furie Rock déferle dans la bonne humeur générale. Mais que s’est-il donc passé à la Maroquinerie ce soir ?
Frustration reviennent pour un rappel de trois titres, histoire de persister et signer, même si pour nous, le sommet a été atteint à la fin du set avec le fabuleux Your Body et son explosion de fureur au milieu des déchets radioactifs d’une cold wave déchiquetée.
Ce soir, c’était l’un de ces soirs où un groupe a explosé toutes nos attentes : vingtième anniversaire ou pas vingtième anniversaire, braillons ensemble : « longue vie à Frustration ! »
Texte et photo : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil