Modern Stars cherche à nous envoyer dans les étoiles avec sa musique. Et cela dure depuis 3 albums. Que les amateurs de rock lancinant se réjouissent, Space Trips For The Masses, est un album inventif à la richesse insoupçonnée et au pouvoir évocateur diabolique.
S’il faut partir en masse et en bus vers les étoiles — que Dieu et toutes les divinités de la création nous gardent d’une telle calamité! —, encore faut-il que les conditions du voyage soient bonnes. Quand on pense à la pénibilité d’un voyage en métro de 3 stations à peine, on imagine ce que peuvent représenter des milliers de kilomètres dans le vide et le noir ! Et parmi les choses qui peuvent aider, il y a la musique évidemment. C’est sans doute ce que se sont dit les (bien nommés) Modern Stars au moment de composer ce Space Trips for the Masses. Et ça fonctionne bien, très bien même. On peut voyager loin et peut-être même dans de mauvaises conditions en ayant dans les oreilles de tels morceaux qui défilent.
Il faut dire que la musique de Modern Stars se prête particulièrement bien à ce projet. Pour preuve, les deux précédents albums du groupe Italien Silver Needles (2020) et Psychindustrial (2021), dans la ligné duquel Space Trips se situe parfaitement. S’ils nous envoient dans l’espace avec cet album, ils nous y envoyaient déjà avec les précédents. Si vous éprouvez du plaisir à écouter ce 3ème album du groupe, ce sera probablement la même chose avec les précédents ; et réciproquement. On y retrouve en effet exactement le même type de musique. Une musique en forme de masse en fusion qui coule pâteusement – comme de la lave, est-il besoin de le préciser –, qui vous entoure, vous enveloppe et qui, justement comme de la lave, fascine, envoûte. Le rythme, tenu, martelé par les percussions d’Andrea Sperduti et la basse de Filippo Strang, est d’une lenteur à rendre fou un escargot. Les riffs de guitares (Andrea Merolle) bourdonnent comme un essaim entier d’abeilles (sous xanax). Et les voix – que ce soit les vocalises ou les mélopées de Barbara Margani ou celle grave d’Andrea Merolle. Tout contribue à rendre cette musique addictive. Écouter Modern Stars tient de l’expérience mystique. Une expérience qui dure depuis 3 albums.
Si on devait rapprocher l’écoute de Modern Stars de quelque chose de connu, ce serait l’écoute d’un album des Spacemen 3 ou de Loop. Forcément, parlant de voyage dans les étoiles, la référence au space-rock s’impose. Mais elle s’imposait déjà avant, quand il ne s’agissait pas encore de space trip. Spacemen 3 ou de Loop, et Modern Stars : même combat. Avec une différence notable : là où ces groupes n’hésitaient pas et arrivaient à changer de rythme, à accélérer, Modern Stars s’échine à labourer le même sillon, restant sur le même rythme pendant tout l’album ou presque. Du Loop au ralenti. C’était déjà sensible sur certains morceaux des précédents albums. C’est poussé un peu à l’extrême ici. Mais c’est pour le bien de la musique ! Ce drone psychédélique perdu dans les étoiles s’accommode particulièrement bien de la lenteur.
De fait, presque pas de virage inattendu, de décrochage surprenant, peu de moments de calme sur cet album. Starlight commence fort et le rythme ne baisse pas. Chaque morceau reprend là où le précédent s’était arrêté, dans une unité et une homogénéité qui donne force et densité à la musique et qui rend tout repérage difficile – en sommes-nous au 1er, 2ème, 3ème morceau ? Est-ce la 6ème écoute ? La 12ème ?? C’est peut-être cela que de voyager dans l’espace… Ce qui ne veut pourtant pas dire que ces parties qui composent la masse, que ces morceaux n’ont pas leurs spécificités propres. Ce serait faire injure aux capacités créatrices du groupe que d’ignorer les ajouts (sitar, par exemple, comme chez Loop…), les solos de guitare, les coeurs… Space Trips est album inventif à la richesse insoupçonnée et au pouvoir évocateur diabolique. Tel morceau fera penser à un Pink Floyd de Dark Side of the Moon. Tel autre au Blue Monday de New Order. Un troisième suggèrera David Bowie et Space Oddity. On peut même pousser le vice à voir les inserts de musique classique à un clin d’oeil à 2001 de Stanley Kubrick. Peut-être que tout ceci n’est que délire d’une oreille (et de son cerveau) gavée de ces sons saturés. Ou peut-être est-ce un effet du manque d’oxygène. Quoi qu’il en soit, on ne peut que se réjouir qu’un groupe puisse évoquer tant de choses à la fois, en produisant une musique assez spéciale quand même.
Et pour terminer une double mention spéciale à la superbe vidéo de Drowning réalisée par Andrea Mellone lui-même et à la pochette de l’album. Bluffant.
Alain Marciano