Elisa Menini revisite avec talent l’art ancestral des estampes japonaises, nous offrant, pour le dernier volume de sa trilogie nippone, l’un des plus fameux récits initiatiques du pays du soleil levant.
Hercule paysan élevé par une ogresse, Kintarō vit sur le mont Ashigara. Quand sa mère tombe gravement malade, l’enfant découvre que le seul remède se cache au faîte du mont Fuji, le plus sacré, et donc le plus inaccessible, des sommets de l’Archipel. Il sera aidé dans sa quête par un ours et un aigle, ses amis de la montagne. Au fil des pages, viennent se joindre à la petite troupe un tanuki métamorphe, un petit oiseau chapeauté et débrouillard, puis un renard silencieux…
L’ensemble pourrait évoquer Les Musiciens de Brême, le conte des frères Grimm, si les adversaires étaient humains. Or, l’opposition est surnaturelle. Surpris, nous découvrons, ou plutôt apercevons au détour d’un sous-bois Nobosuma, Mononji, Tenji, Yunawa, Yamaneko, Tengu et le démon Raiju, autant de yōkai. Les rencontres sont fugaces et frustrantes. La part la plus raisonnable de notre esprit n’est pas rassasiée, que veulent ces créatures ? La jeune artiste italienne Elisa Menini dessine, mais ne commente pas. Ce bestiaire fantastique est rarement malfaisant, mais plutôt inquiétant, distant, voire simplement malicieux. Il sera question d’efforts, de fuites ou de sacrifices, plus rarement de combats. La fin rappelle celle du surprenant, du moins à nos yeux occidentaux, Conte de la princesse Kaguya d’Isao Takahata : les héros s’envolent dans un nuage, probablement à l’invitation du Bouddha.
Plus accessible, le trait d’Elisa Menini associe un dessin typiquement japonais aux cadrages, mises en page et dialogues de la bande dessinée franco-belge. L’auteur a longuement étudié la technique des estampes (ukiyo-e) du XVIIe siècle. Le résultat est objectivement magnifique. Le front soucieux et les yeux étonnés, le jeune Kintarō semble tombé d’une gravure sur bois. Pour notre plus grand bonheur, il roule des épaules, se contorsionne, puis se jette en avant. La mise en couleur est d’une grande poésie, vous voilà projetés à l’époque d’Edo. Profitez du voyage !
Stéphane de Boysson