Alors qu’il vient de sortir Méfistofélange, son premier album depuis près de 30 ans, Jean-Pierre Kalfon revient pour Benzine sur sa vie et sa carrière musicale, qu’il qualifie avec modestie d’erratique. Un entretien passionnant avec un homme profondément amoureux de la musique.
Benzine : Dans votre nouveau disque, j’ai bien aimé le côté colère…
JPK : Il n’y a pas que ça, mais il y en a. Il m’en reste… (rire)
Benzine : Musicalement, j’ai trouvé ça bien Blues Rock, et puis j’aime les textes, la voix qui a pris une sorte de tessiture avec l’âge, et la démarche…
JPK : Ce que ça raconte cet album, c’est qu’on ne s’endort pas : on a des colères, mais on a aussi de l’amour. Il y a des choses gracieuses. Par exemple une chanson comme Noire la Nuit, je l’avais écrite il y a quelques mois pour parler de la Nuit Parisienne qui était morte, il y a plus le Palace, il n’y a plus rien. D’un seul coup est arrivé l’Ukraine, les Russes, et j’ai tout changé, j’ai tout réécrit à ce propos, maintenant elle ne parle plus que de ça.
Benzine : Votre album précédent, il remonte à longtemps…
JPK : 1993, oui, et en plus c’était un album où il y avait de très bonnes chansons, on avait fait des maquettes, et on nous avait donné la possibilité que je réenregistre mes voix dessus, mais on n’a pas pu refaire les titres comme je le souhaitais : il n’est pas très abouti… Tandis que celui-ci, il est bien avancé, j’ai progressé musicalement, vocalement. Ça va tout-à-fait dans le sens de ce que j’aime comme musique, le rock et le blues, et en même temps des balades. Et raconter des choses, parler aux gens de notre époque.
Benzine : Je trouve un peu triste que dans le Rock actuel les gens chantent en anglais…
JPK : Moi, je fais tout en français, j’essaie de trouver les mots qui sonnent. On a une belle langue. Mon rêve, ce serait d’aller faire une tournée aux USA, mais en chantant en français. Eux, ils nous colonisent, j’aimerais bien les coloniser un peu en retour avec le français, avec le gaulois.
Benzine : Revenons sur vos origines musicales, c’est quoi les premières musiques que vous aimiez ?
JPK : Quand j’étais gosse, il n’y avait que le radio. Et donc j’allais sur les stations chercher le jazz, le boogie, le blues, tout ce qui pouvait me donner la pêche. Et puis après j’ai suivi l’évolution de la musique, le rock où je me suis trouvé en terrain familier, pour moi ce n’était pas une surprise. Dans les années 60, j’écoutais toutes les grandes chanteuses, Billie Holiday, Bessie Smith, Big Mama Thornton… Tout ça, c’était déjà du Rock, des gens fabuleux.
Benzine : Des voix qui n’ont pas été égalées…
JPK : Il y a eu quand même Amy Winehouse, elle a cassé la baraque, sa musique devait beaucoup aux Ronettes – elle avait la même coiffure, en un peu plus haute – et à Ronnie Spector. Amy, c’était une déesse, mais voilà, trop sensible, elle s’est fait bouffer par le business, et par son mec.
Benzine : Vous avez été une icône à la fin des années 60, dans les années 70, surtout au cinéma…
JPK : La musique de cette époque-là, c’était la musique psychédélique, mais ce côté-là ne me branchait pas trop. Je continuais à être attiré par le Blues, des gens comme BB King, Albert King, Stevie Ray Vaughan, et puis les grands chanteurs, Marvin Gaye, Sam Cooke, Otis Redding, Aretha Franklin. De la musique émotionnelle, c’est ça qui me plait. Les Neville Brothers, c’est énorme, Aaron Neville qui chante l’Ave Maria : oh la vache ! Il a un vibrato incroyable, c’est plus que de la technique, il vous communique quelque chose de pure sensibilité. L’un des premiers raps que j’ai entendus, c’était par les Neville Brothers, un disque qui s’appelle Yellow Moon : bon, c’est pas du gros rap de banlieue, c’est tout en finesse. Je crois que c’était une chanson sur Rosa Parks, la militante…
Benzine : Si on revient à ce nouvel album, ça a été quoi le déclencheur ?
JPK : Je ne me suis pas dit « je vais faire un album », ça faisait longtemps que j’en avais envie, j’avais plein de chansons qui étaient prêtes, j’en ai encore plein d’ailleurs. Si cet album marche, j’aimerais en enregistrer d’autres. Mais bon, on va déjà essayer de faire marcher celui-là, de faire des concerts avec, et on verra après… En fait, c’est quand j’ai arrêté de chercher une production pour ces chansons que j’avais que ça m’est tombé dessus : Amaury Blanchard, l’un des deux batteurs qui jouent sur le disque, a rencontré quelqu’un qui lui a dit connaître quelqu’un qui pourrait me produire : j’ai envoyé des maquettes, dont Gipsies Rock’n Roll Band et Costards. Ça a marché, ça lui a plu, il m’a soutenu, il m’a foutu la paix, il m’a laissé choisir les chansons que je voulais, les instruments et les arrangements que je voulais, les musiciens que je voulais. Et quand on vous fait confiance comme ça, il se passe quelque chose, on se détend, on sent la chaleur de ceux qui croient en vous, ça vous aide…
Benzine : et les musiciens ?
JPK : Ce sont des musiciens que je connaissais depuis longtemps, ils ont composé les musiques du disque, à part Costards et Gipsies Rock’n Roll Band que j’ai composées moi… Parfois il y avait déjà des paroles sur lesquelles ils ont mis les musiques, parfois c’était l’inverse, j’ai écrit sur leurs musiques, ça marchait dans les deux sens, une sorte d’alchimie.
Benzine : L’enregistrement a été difficile ou plutôt fluide… ?
JPK : On a d’abord enregistré les bases, on a ensuite envoyé les fichiers à des musiciens qui pouvaient être à Arles, à Aix en Provence… Alors est-ce que ça a été difficile ? Non c’est du travail, du plaisir. Je suis perfectionniste, il y a une chanson que j’ai reprise soixante fois ! (rires). Bon, on se dit qu’il y a un moment il faudra lâcher le truc, mais pour le lâcher, il faut qu’on en soit content. On se fait plaisir mais il faut faire plaisir au public, avec une belle réalisation, qui représente vraiment ce qu’on sent…
Benzine : Pour la scène, il y a déjà des plans ?
JPK : Oui, le 12 décembre, je vais jouer à Petit Bain. 450 places, une grande salle… J’ai fait un album pour pouvoir faire de la scène, j’aime le contact avec le public, voir les gens contents, bouger, avoir envie de danser. Quand on est sur scène et qu’on voit ça, c’est une réponse.
Benzine : C’est vrai que c’est sur scène qu’on voit la vérité d’un artiste… Je ne dis pas ça pour vous mettre la pression !
JPK : Vous ne pouvez pas me mettre la pression, parce que je l’ai déjà ! (rires) Quand on voit le public, on a la peur de ne pas être à la hauteur de ce qu’on a voulu faire, à la hauteur de ses rêves, ce n’est pas seulement du trac. Il y a eu des chanteurs tellement extraordinaires, Otis Redding, Jim Morrison, Neil Young… Il faut se mettre la barre haute, ça ne veut pas dire que j’arriverais à ça, mais c’est la direction dans laquelle je veux aller…
En fait, je voulais faire de la musique, je ne voulais pas être acteur, mais je pouvais pas amener des instruments chez mes parents. C’était « non, non, non, il faut que tu fasses des études, que tu deviennes avocat ou médecin. » Seulement, je n’étais pas doué pour faire des études, je me suis barré, j’ai fugué à l’âge de 15 ans et demi, je me suis débrouillé seul… Ils m’ont ré-éaidé ensuite financièrement pour que j’aille dans un cours de dessin, j’ai gagné un concours…
Benzine : Vous auriez pu avoir une carrière de dessinateur…
JPK : Peut-être, mais j’ai suivi des gens et j’ai assisté à des cours théâtre, j’étais auditeur libre, je n’avais pas d’argent pour payer les cours, mes parents ne savaient pas que je faisais ça. Un jour, quelqu’un est venu chercher des comédiens pour entourer des danseurs, je me suis infiltré, j’ai pris des cours de danse, et j’ai fini aux Folies Bergères ! J’ai touché pendant 5 mois un peu de sous pour me payer des cours de théâtre. Mais je n’avais pas de culture, je n’avais pas fini mes études, c’était difficile pour moi quand on me donnait une scène à jouer, je ne lisais même pas toute la pièce, juste ma scène… Après, j’ai monté des pièces alors que je n’y connaissais rien, et des gens m’ont aimé, des gens m’ont engagé, j’ai fait du théâtre, et puis un peu de cinéma. Mais je suis retourné à la musique parce que j’ai pu acheter des instruments, grâce au cinéma… Voilà ma trajectoire… erratique… !
Benzine : Erratique, quand vous le racontez comme ça… mais vous avez laissé une trace dans la mémoire de plein de gens… C’est formidable, non ?
Propos recueillis par Eric Debarnot
Toutes les photos sont de Jean-Pierre Marion
Jean-Pierre Kalfon – Méfistofélange
Label : Déviation Records
Date de parution : 21 octobre 2022
Prochain concert parisien : le 12 décembre à Petit Bain