Les « vieux fourneaux » ont une frangine et elle s’appelle Madeleine. Cette petite BD ancrée dans l’actualité, qui évoque sans plomber l’ambiance les effets perceptibles du réchauffement, s’adresse à tous les résistants de 7 à 77 ans…
A Troumesnil, petit village normand de la côte d’Albâtre, la situation devient tendue. La maison de Madeleine, située sur une falaise qui menace de s’effondrer, a fait le tour des réseaux sociaux et attire les chalands en quête de sensations fortes. Mais notre mamie aveugle continue à faire de la résistance, au grand dam du maire qui doit batailler de tous les côtés…
Il vaut parfois mieux s’abstenir de tout jugement hâtif. Sous des dehors de comédie jeunesse humoristique, dans la pure veine traditionnelle du genre franco-belge, cette bande dessinée au format classique de 64 pages est plus moderne qu’il n’y paraît. Sous les gags aux airs de déjà-vu, derrière les situations improbables et souvent caricaturales, Jamais : le jour J est bien en phase avec son époque.
Si l’on décide de ne pas s’arrêter aux rebondissements ubuesques de cette aventure très locale – qui se cantonne aux frontières du village imaginaire de Troumesnil dans une Normandie bien réelle —, on comprendra que le récit, pas si innocent, aborde des sujets d’une actualité brûlante, tant en matière environnementale que politique. Le noyau narratif étant la montée des eaux liée au réchauffement climatique, laquelle grignote la falaise où est perchée la petite maison de notre bonne vieille Madeleine, celle-ci continue (comme elle le fait depuis le premier tome) à résister « contre vents et marées » aux injonctions du maire de déménager dans un lieu plus sûr. Mais pour elle, qui pète la forme du haut de ses 91 ans, ce « lieu plus sûr » se traduit par « maison de retraite », ce dont elle ne veut entendre parler à aucun prix. D’autant qu’étant aveugle, elle ne voit pas la menace. Elle, tout ce qu’elle veut, c’est rester peinarde chez elle, entre son chat Balthazar et les souvenirs de feu son mari. Et là, c’est le droit à la fin de vie digne qui est questionné.
Si la question environnementale ne sert in fine que de toile de fond, Bruno Duhamel balance, sans avoir l’air d’y toucher, plusieurs messages assez bien sentis sur la politique, ici locale, mais qui pourraient s’étendre au niveau national. De la difficulté des maires à gérer une ville quand on leur met tout sur le dos au cynisme d’une opposition fascisante qui n’hésite pas à jouer sur les peurs (chacun aura compris à quel parti il est fait référence), l’auteur parle d’un vivre-ensemble mis à mal sans nuance par des meutes hystériques qui trouvent en Facebook ou Twitter un porte-voix idéal à leurs frustrations. Le bunker hérité de l’occupation nazie, sur le site où vit Madeleine, mettra pertinemment en relief le devoir de résistance, à laquelle notre mamie n’a jamais dérogé. En marge de cette mise en lumière des effets indésirables du net, Duhamel se moque également de notre société du tout-technologique, à travers la domotique qui a envahi chaque recoin de la maison de Madeleine, laquelle répond avec sa gouaille inénarrable à la voix robotique un rien anxiogène.
Duhamel n’a pas non plus oublié d’être « inclusif » en évitant les clichés sur certains personnages, si l’on excepte l’opposant au look nazillon (sorte de croisement entre Le Pen jeune et Eric Ciotti). Des personnages plutôt bien campés que le coup de crayon assuré du dessinateur sait rendre expressifs. On peut également saluer le soin apporté à la mise en couleurs, dans des tonalités pimpantes.
Précisons que cette bande dessinée, déjà bien accueillie à la sortie du premier volet en 2018, n’est pas une série traditionnelle dans le sens où les deux histoires peuvent se lire de façon dissociée. Sans être exceptionnelle, Jamais : le jour J, plus orientée « action » que son prédécesseur, recèle tous les charmes d’une BD jeunesse, d’une candeur louable et pas si cul-cul la praline.
Laurent Proudhon
Jamais, vol. 02 : le jour J (histoire complète)
Scénario & dessin : Bruno Duhamel
Editeur : Grand Angle
64 pages – 16,90 €
Parution : 28/09/2022
Jamais, vol. 02 : le jour J — Extrait :