Après Brendan et Parvana, Nora Twomey est de retour pour nous conter l’histoire d’Elmer. On y croise un dragon qui pète, des singes qui parlent et l’effet placebo du courage quotidien. Un conte à consommer en solo ou accompagné de vos amis, amours, enfants, parents, avec un chocolat chaud et des mandarines à portée de main, de préférence.
Si Brendan Et Le Secret De Kells avait évidemment contribué à précipiter le monde entier (ou, du moins, la part de la population aimant à rêver en animation) dans l’univers mirifique de Tomm Moore, il serait injuste d’omettre l’implication de Nora Twomey, seconde moitié du tandem de réalisateurs à la barre du projet. Le studio Cartoon Saloon, créé par les deux animateurs dans leur Irlande natale, s’est ensuite tranquillement installé en mode croisière pour aligner des bijoux comme Le Chant de la Mer, Parvana, Une Enfance en Afghanistan et Le Peuple Loup. Proposant une animation typée, marquée par le folklore irlandais, et une écriture d’une profondeur rare, le studio se sera rapidement imposé dans le paysage de l’animation de haut vol, non loin de pointures comme Ghibli, Pixar ou Laika, dont le nom seul suffit à évoquer une fiabilité qualitative qui donne envie d’y aller les yeux fermés. Enfin, non, justement, mais vous comprenez la métaphore. Aussi, en apprenant que Netflix superviserait la sortie du nouveau long-métrage de Nora, on se dit que c’est un mal pour un bien. D’un côté, il est toujours regrettable de se priver de la salle obscure (Le Peuple Loup resplendissait sur grand écran), de l’autre, le confort d’une tasse de pantoufle et d’une paire de chocolats chauds (ou l’inverse, selon vos goûts) se prête totalement au visionnage de ce genre de film. Je vous propose de vous donner quelques minutes pour vous équiper. Rendez-vous au prochain paragraphe.
C’est bon ? Super, super. Vous voulez des mandarines, aussi ? Vous verrez, c’est important pour l’immersion. Vraiment, je vous assure. C’est vrai que, de prime abord, le film ne paie pas de mine. Pas qu’il soit sans saveur ni intérêt, mais il semble se diriger très placidement vers quelque chose de bien reconnaissable. Une fille, son père, un garçon, sa mère. Un pickup, un déménagement, une plomberie miteuse et une vieille logeuse acariâtre. Des gamins qui font la manche et un ménage qui, à peine arrivé en ville, galère déjà bien à joindre les deux bouts. Et puis, d’un coup, une bestiole ouvre le bec et se met à jacter avec le sarcasme rocailleux de Whoopi Goldberg. Littéralement. Et à partir de là, ça part en cacahuètes de la plus savoureuse des façons. Une île sphérique qui flotte, un dragon pas très futé (du moins au début), un gorille blanc doublé par Ian McShane, un graffiti avec des tablettes de chocolat, des tigres arboricoles et des mandariniers en plein océan (je vous avais dit que c’était important).
Sacré changement de décor, donc, mais les enjeux restent les mêmes. La quête d’indépendance et de rêve, comme chez Wendy. La quête de courage et de vérité, comme chez Dorothy. La quête de compréhension et d’affirmation de soi, comme chez Alice. Elmer obtiendra tout cela et plus encore, puisqu’il en intériorisera la véritable valeur. Le courage d’un enfant têtu cherchant à prouver sa prise sur un monde qui lui résiste. La bravoure d’un adulte anxieux faisant face au doute tout en maintenant l’impression de savoir quoi faire en toutes circonstances. Quelle différence, finalement ? Le point de vue change, mais la source de la confusion est rigoureusement identique. Une thématique que Parvana avait déjà illustrée avec une force déchirante, et que ce nouveau film file avec beaucoup de fantaisie.
Sur le plan de l’écriture, Le Dragon de mon père est le double négatif de Wendell & Wild, autre métrage animé au pedigree luxueux récemment arrivé sur la plateforme au monogramme à triple barre. Là où le dernier film d’Henry Selick se plaisait à multiplier les intrigues et les personnages au risque de se disperser, le Dragon du Daron travaille ses thèmes en profondeur, plongeant son protagoniste dans l’inconnu pour mieux mettre en lumière ce qui aurait illuminé la grisaille de sa vie citadine. À l’inverse de Wendell & Wild, où certaines intrigues secondaires pouvaient paraître plus dispensables face à la trame de fond, le film de Nora Twomey contient des zones de flou qui semblent gagner en mystère à mesure qu’on les interroge. Par exemple, quelle est la véritable place de la narratrice du récit ? Que doit-on penser de ce personnage hors champ qui déroule toute l’histoire ? Les premières minutes nous révèlent qu’il s’agit de la fille d’Elmer, mais la fin du récit ne lèvera pas davantage le voile sur la vie ultérieure du protagoniste. Or, cette dimension familiale est centrale dans l’histoire, au point de hanter notre compréhension du film longtemps après son visionnage. Si les plus jeunes s’y arrêteront sans doute moins systématiquement, on serait tentés d’y voir le portrait d’un passage de flambeau, d’une persistance du conte entre les générations, et d’un lignage du merveilleux comme philosophie de l’espoir qui perdrait bien trop de sa magie si l’on tentait de l’expliquer de façon détaillée, structurée et rationnelle. Pour ma part, je ne pense pas faire erreur en hasardant que cette posture de conte au coin du feu, via la voix d’une adulte qui se présente à nous comme la fille d’un enfant dont elle nous narre la quête de maturité, est peut-être la forme de récit la plus adaptée à un art comme celui de l’animation. Quand le feu crépite, que les images tourbillonnent et que les langues se délient pour raconter de belles histoires, est-il encore judicieux différencier l’enfant de l’adulte ? La réponse est non. Enfin, je crois. Vous êtes sûrs de ne pas vouloir une mandarine ?
Mattias Frances