La divine Natalie Mering plus connue sous le nom de Weyes Blood refait parler d’elle avec And In The Darkness, Hearts Aglow, album attendu comme le messie redescendu sur terre pour les uns, avec scepticisme pour les autres. Contrairement à la majorité, on émettait quelques réserves en 2019 sur Titanic Rising mais cet album annonçait des jours brillants pour l’américaine. Et si nous avions raison ?
Pourquoi répétons-nous encore et toujours les mêmes gestes ? Pourquoi poursuivons-nous encore et toujours les mêmes obsessions ? Pourquoi ce qui relève du passé nous semble toujours plus beau vu de notre morne présent ? Pourquoi recycler encore et toujours de vieilles idées ? Pourquoi ne pas innover et ne pas créer de l’inédit ? Peut-être parce que dans ce mouvement obsessionnel se cache une myriade de possibilités, une voie à creuser qui poétise notre quotidien.
En 2019, face à la majorité, nous avions émis quelques réserves sur Titanic Rising, le quatrième album de l’américaine Weyes Blood qui l’avait révélé à un public plus large. Ce disque regorgeait de belles idées, d’influences assumées et réinventées mais il n’évitait quelques chansons de remplissage, les moments de gloire étaient les plus nombreux mais nous ne tenions pas encore un immense disque. Et si And In The Darkness, Hearts Aglow avait retenu les leçons du disque passé, ce qui est sûr, c’est que même si l’album emprunte les mêmes voies que le précédent, on sent une artiste qui affine son propos, qui travaille les arrangements et les décors. On y perçoit une subtilité nouvelle doublée d’une production élégante. Alors certes, les fâcheux et les aigris n’y entendront qu’une resucée sans saveur des chansons de Laura Nyro, des Carpenters. Ecueil dans lequel tombait un peu Titanic Rising, ce ne sera jamais le cas pour And In The Darkness, Hearts Aglow où la compositrice ne dilue jamais son originalité. Elle apporte une forme d’abstraction nouvelle à sa musique, une ampleur qui convient à la perfection à son chant. Tout en s’appuyant sur les références déjà citées, l’américaine transporte sa musique ailleurs.
On ne pourra jamais s’empêcher de fantasmer à une collaboration entre la dame et David Lynch pour cette même attirance pour les motifs désuets, pour une certaine poésie de la mélancolie tel sur le sublime God Turns Me Into A Flower. Comme chez Lynch, il y a toujours un fragile équilibre entre le kitsch, le naïf et la noirceur la plus absolue, entre la monstruosité et le divin, entre la poésie et le trivial. Sans le vouloir, Weyes Blood entretient un malentendu, nous la croyons de notre temps et de notre dimension mais non, elle nous échappe à chaque fois que l’on croit la saisir. Elle est déjà ailleurs, dans ce monde qui s’ouvre après que le mot Silencio soit prononcé. Autre malentendu qu’elle cultive, c’est celui de cette Pop rayonnante et lumineuse, ce rêve de Californie à des années-lumière des préoccupations que l’on entend dans les paroles de Natalie Mering, cette interrogation sur une société qui ne sait plus faire sens autour de la communauté, de ces règles toujours au détriment de l’individu. Mais Weyes Blood, pour dire notre monde se place avec élégance mais aussi pour se protéger dans une tour d’ivoire, dans l’intemporalité de ses chansons rétro. Pourtant, l’acuité est fine dans l’analyse, dans la vision portée et elle est d’autant plus pertinente qu’elle nous semble montrée de notre passé.
En resserrant le propos comme le fait Weyes Blood sur ce cinquième album, elle ne produit pas encore un chef d’œuvre mais un grand disque. De tous ses disques jusqu’ici, And In The Darkness, Hearts Aglow est sans aucun doute le plus ouvert, le plus délicieusement incohérent, le moins retro. La faute sans doute à cette production en arrière-plan plus portée sur la dimension électronique. Malgré tout, la dame n’en perd pas ses réflexes Vintage et emploie ces nouveaux matériaux avec un regard dans le rétroviseur. Il faudra s’attarder sur les paroles riches et suggestives de la dame pour mieux saisir tout le chemin parcouru, elle que l’on qualifie volontiers de Lana Del Rey underground, continue de construire une œuvre souvent attachante et cette fois-ci à coup sûr passionnante.
Il manque peu, si peu à Weyes Blood pour enfin atteindre ce chef d’œuvre que l’on entend en partie dans chacun de ses disques, il est là en elle, il viendra.
Greg Bod
Weyes Blood – And In The Darkness, Hearts Aglow
Label : Sub pop
Sortie le 18 novembre 2022