L’Histoire secrète de Kate Bush (et l’art étrange de la pop) parle peu (mais si bien) de Kate Bush et pas beaucoup (mais encore mieux) de pop. C’est ce qui en fait un livre quasi indispensable. Un condensé d’intelligence et de sensibilité. Fred Vermorel donne une leçon de journalisme et d’écriture. Sans compter que Le Gospel nous offre un superbe objet.
Catherine Bush, plus connue sous son petit nom de Kate, a connu un succès énorme dans les années 1980… et puis, soudain, de nouveau en 2022 ! Grâce à la diffusion sur Netflix de la saison 4 de Stranger Things dans laquelle on entendait le titre Running Up that Hill. Le morceau est devenu le titre le plus streamé sur Spotify la semaine du 6 juin 2022 ! Une raison d’acheter la récemment publiée Histoire secrète de Kate Bush ? Chiche ?
Mais au moment d’ouvrir (et peut-être même d’acheter) L’Histoire secrète de Kate Bush (et l’art étrange de la pop) de Fred Vermorel , vous éprouverez peut-être une certaine hésitation. Certes, on vous parle d’un livre épuisé, jamais traduit en français. On vous vante le « livre le plus vendu au monde » sur Kate Bush. Même si le marché du livre sur Kate Bush n’est pas celui du polar scandinave, c’est alléchant ! Pourquoi pas ? Parce qu’on vous prévient que ce n’est pas une biographie au sens traditionnel du terme et qu’il vous faudra une certaine ouverture d’esprit pour le lire ! Et la préface de Tony O’Neil laisse planer un doute dont on ne sait pas s’il est rassurant ou inquiétant, en le décrivant comme un livre pour « les lecteurs intrépides prêts à traverser les recoins littéraires les plus sombres et menaçants de l’histoire anglaise. » Comme la quatrième de couverture qui parle d’« un texte mystique, souvent baroque, une plongée vertigineuse dans la musique de la chanteuse autant que dans le fétichisme qui unit les pop stars à leurs adeptes. » Et qu’on semble vous survendre le produit – « une pièce maîtresse de la littérature consacrée à la musique pop ». C’est un peu trop, non ?
Diantre… dans quoi me suis-je-fourré ?! Certes, ce ne sont que 160 pages (en réalité pas plus de 140, avec les pages de garde, intertitres, etc). Mais il faut beau dehors, la vie est courte et 2 ou 3 heures de temps sont toujours 2 ou 3 heures de prises sur le destin… Et puis 20 euros, c’est 20 euros ! Balayez tout cela du revers de la main. Ignorez les précautions. Ne regrettez pas les 20 euros que vous avez investi. Ni les quelques heures que vous aller passer à lire L’Histoire secrète de Kate Bush (et l’art étrange de la pop) ! Fred Vermorel et Kate Bush vous le rendront au centuple. L’histoire secrète fera probablement parti des livres que vous garderez. Et après l’avoir lu vous irez lire (si ce n’est pas déjà fait) les autres bios de Fred Vermorel et (ré)écouter Kate Bush.Ce livre est bon. BON. Il mérite tous les compliments qu’il a pu recevoir.
D’abord, L’Histoire secrète est superbement écrit et remarquablement traduit. À quelques exceptions près – pudding à la prune pour plum pudding, vraiment ? Et « affluence » (p. 110) dans le sens utilisé est un anglicisme qui n’a pas ce sens en français–, on a l’impression qu’il a été directement écrit en français. Un vrai plaisir de lecture donc, a sens premier du terme. Un plaisir aussi parce que c’est un livre riche, documenté, bourré d’informations dont on n’aurait jamais entendu parlé autrement. C’est pas mal qu’un livre informe… Et puis c’est un livre intelligent sur la pop, sur Catherine Bush et sa musique. Un livre sensible, qui n’a pas besoin de milliers de mots pour faire passer un message, pour nous faire comprendre pourquoi Kate Bush a été une telle star – la première femme à occuper la tête des charts en Angleterre, à une époque où ce n’était pas si fréquent.
Pourtant, c’est exact : L’Histoire secrète n’est pas une « vraie » biographie au sens où on l’entend habituellement. Parce que, parmi tous les avertissements qui entourent le livre, celui-ci est vrai. Ce n’est pas du Henri Troyat ! On n’y apprend pas quand Catherine Bush a perdu sa première dent de lait, à quel âge elle a eu son premier petit copain, si elle a été opérée de l’appendicite ou quand elle a écrit sa première chanson. Les détails véritablement biographiques sont peu nombreux. Dans ce sens, ce serait moins qu’une « vraie » biographie. En fait, c’est plus que ça. Fred Vermorel fait ce que tout biographe devrait faire (et ne fait pas souvent), il met en perspective. En perspective familiale et personnelle, puisqu’il fait parler les parents et ami(e)s de la chanteuse. Et qu’il la cite elle-même aussi. En perspective historique et peut-être surtout – le livre commence en l’an 500 de l’ère de notre seigneur et nous raconte l’arrivée des ancêtres Bush dans l’Essex et leur ascension sociale pour sortir de la boue qui colle aux chaussures et aux roues des chariots dans cette région de l’Angleterre. De fait, on passe plus de temps avec les Bush avant Kate qu’avec Kate elle-même. Il faut le dire, c’est passionnant – Fred Vermorel devrait enseigner l’histoire dans les écoles ! Et c’est utile aussi parce que comprendre la musique de Kate Bush demande cette mise en perspective… Comme Fred Vermorel l’écrit : la dimension « magnifique » de la musique de Kate Bush « vient de la tradition familiale des Bush, celle qui a fui la violence de manière résolue pendant au moins trois générations » (103). Donc : on ne peut pas comprendre The Kick Inside (1978) ou The Dreaming (1982) et, évidemment, Hounds of Love (1985) (entre autres) sans comprendre l’histoire de Kate Bush et de sa famille.
Et dire que L’histoire secrète est sortie en 1983, qu’à cette époque Running up that hill n’a pas encore été écrite (Hounds of Love, l’album sur lequel elle figure sortira 2 ans après). Fred Vermorel a compris ce que représentait cette chanteuse hors-norme. Il réussit à nous rappeler combien (et pourquoi) sa musique est si remarquable. Pas étonnant que ce livre ait connu le succès, que certains commentaires à sa sortie aient été si dithyrambiques. Il faut profiter de la chance que le livre ait été republié, et enfin traduit en français.
Alain Marciano