« Nom d’une pipe en bois bandé, le lobby homosexuel continue sa propagande LGBTruc ! »… Du calme, cher « lobby des valeurs menacées », il s’agit ici du simple témoignage d’un type ordinaire qui aime juste les mecs et veut être papa…
Anthony Bertrand évoque dans cette BD témoignage son parcours et ses questionnements liés à son adoption et son statut d’homosexuel désireux d’être père. Né dans un monde où il n’était pas sûr d’être à sa place, malgré l’amour que lui prodiguèrent ses parents adoptifs, il raconte sa quête des racines et son cheminement visant à concrétiser son rêve de paternité.
Initialement conçue pour son fils, cette bande dessinée, comme le précise lui-même son auteur, a été remaniée dans une version destinée « à un plus large public ». Ayant reçu un accueil favorable de La Boîte à bulles, cet enseignant en arts appliqués publie ainsi son premier roman graphique. De manière très sobre et très factuelle, Anthony Bertrand décrit comment il a réussi à encaisser tant bien que mal les révélations douloureuses sur les circonstances de son adoption et comment il a surmonté ses appréhensions liées à sa décision de vivre avec un homme. Mais surtout, il raconte ce désir prégnant d’avoir un enfant biologique, lui qui ne connut presque rien de ses parents naturels. Un choix rendu plus délicat par son orientation sexuelle, mais qui trouvera une issue via la coparentalité, la solution la plus simple en apparence mais qui n’est pas « un long fleuve tranquille pour autant »…
Anthony Bertrand a su trouver le ton juste pour narrer son histoire. Loin des clichés sur le milieu gay vers lequel ce dernier lui-même aime souvent à projeter sa propre caricature, l’auteur expose sa quête de façon pudique et sensible, sans aucune acrimonie vis-à-vis des obstacles rencontrés et des blessures du passé. Il nous montre sans ostentation le quotidien ordinaire de son couple avec les mêmes aspirations que n’importe quel couple « hétéro ».
Si la narration bénéficie d’une fluidité agréable, le dessin s’accorde parfaitement avec le propos. Très graphique et aux influences vaguement manga, la ligne claire sage et un brin distanciée n’en révèle pas moins une certaine sensibilité chez son auteur et une élégance que viennent renforcer les couleurs délicates d’une palette restreinte.
Fils & Pères constitue par excellence la lecture idéale à mettre entre toutes les mains, dans la mesure où, loin des polémiques, elle contribue à dédramatiser de façon respectueuse et apaisée un sujet de société hautement inflammable pour les défenseurs apeurés d’un monde « préservé de la décadence cosmopolite et dégenrée ».
Laurent Proudhon