S’inscrivant dans une veine naturaliste peu commune dans le genre du polar, Jérôme Bonnel installe une atmosphère étrange, un peu poisseuse et déconcertante, pour une mini-série qui prend son temps et finit par vraiment nous intriguer.
D’emblée, le cadre et la manière de filmer du réalisateur nous ramène aux œuvres les plus naturalistes de Maurice Pialat : nous suivons, durant un premier épisode déstabilisant, plusieurs personnages, a priori indépendants les uns des autres, tous vivant dans un village de province comme il en existe des milliers. Une place avec un bar PMU, des agriculteurs, des policiers municipaux qui connaissent tout le monde, des voisins aidants ou portant de vieilles rancœurs inconnues : le petit monde de ce village perdu en pleine Touraine rappellera furieusement à quiconque son enfance dans ces bourgades, ou des étés passés chez les grands parents ou les cousins à essayer de s’amuser ou de rencontrer les habitants, sans toutefois réussir à créer des liens ou les connaître davantage. Les Hautes Herbes offre d’emblée cette contradiction entre des stéréotypes de villageois et l’opacité de leurs sentiments ou de leurs actions. Qui plus est, les agissements de tous sont vus à travers le regard d’un jeune garçon, venu passer quelques jours chez des amis de la famille car sa mère est tombée dans un coma provisoire. Il ne connaît personne, comme nous, et va découvrir et subir les drames qui frappent ce petit monde qui s’agite autour de lui.
Si l’intrigue du début devient assez rapidement lisible (un jeune travailleur agricole d’origine maghrébine disparaît subitement sans que personne s’en émeuve, à part une femme vivant seule qui l’a rencontrée quelques jours auparavant), se greffe cependant des histoires plus ou moins anciennes de fratries, de querelles de propriétaires agricoles voisins, des coucheries plus ou moins infidèles ou secrètes, qui donnent à l’ensemble des ramifications que l’on devine finalement très resserrées entre les personnages et de plus en plus malsaines. Ainsi, de Pialat, on passe vite à Chabrol pour les références aux drames de province qui font se mêler pouvoir bourgeois et petites gens aux grosses rancœurs, des forces de police bas de front aux grandes familles bien connues des habitants et qui tiennent le village à bout de bras et d’affaires poisseuses.
Tout cela pourrait s’avérer déjà vu ou inintéressant, et beaucoup de téléspectateurs lâcheront l’affaire pour ces raisons, la mise en scène très naturaliste, caméra portée et séquences filmées à hauteur d’homme ou d’enfant, sans sens du cadre ni de la temporalité classique. D’aucuns trouveront également poussif le fil rouge qu’est le jeune garçon, témoin visuel mais passif de quasi tous les ressorts de l’intrigue. Mais pour ceux qui s’accrocheront par curiosité, Les Hautes Herbes assume un vrai regard sincère sur la société actuelle dans des no man’s land de la France rurale et, dans son dernier tiers, un dénouement façon thriller classique mais plutôt efficace, et qui singularise in fine le portrait sans fard d’une classe sociale moyenne assez pessimiste. Comme une envie de sortir d’une série à la française pour approcher les codes du polar à l’américaine. Là encore, on pourra y trouver à redire, mais cela a la mérite de sortir d’une zone de confort trop dispensée dans le paysage sériel d’ici.
Autour d’Emmanuelle Devos, seul gros nom du casting et toujours parfaite, gravitent une belle distribution, prenant le parti d’un jeu complètement ancré dans le réel. Ils ne jouent pas, ils sont. Dans leur banalité, leur mutisme, ou un excès soudain de violence. L’homme, l’animal, ses errements et ses secrets… Les Hautes Herbes réussit vraiment son pari de scruter les contours flous mais noircis ou écornés de l’humain, sous couvert d’un polar qui s’étire d’inertie… Défi risqué, mais défi plutôt relevé sur ces trois courts épisodes (on parlera presqu’ici d’un film de plus de deux heures) qui ne font pas figure de pur chef-d’oeuvre, mais dont certaines scènes s’impriment longtemps dans nos rétines.
Jean-françois Lahorgue