Lisez Mimiphisto, même s’il a été imaginé pour la jeunesse, et enfoncez-vous avec son jeune héros rebelle jusqu’au fin fond des Enfers, mais des enfers originaux où les damnés sont menés à la baguette de chef d’orchestre… Et rêvez au roman graphique pour adultes qu’il aurait pu être !
On lit sans doute trop peu de livres et de bandes dessinées pour la jeunesse, alors qu’il s’agit là en particulier d’une branche très féconde du neuvième Art, d’autant plus importante qu’elle forme les goûts futurs de nos enfants. Et que les contraintes qu’imposent le genre à ses auteurs sont finalement plus exigeantes que celles que doit affronter un auteur d’ouvrages pour adultes.
Mimiphisto, jolie petite réussite dans le genre, tire clairement le meilleur de ces fameuses contraintes : le graphisme est suffisamment simple et attrayant pour les enfants, tout en suivant les codes en vigueur – avec un personnage principal, qui n’est pas moins que le rejeton de Méphistophélès, le diable lui-même, au visage rond et aux grands yeux de personnage de manga -, sans pour autant se départir d’une belle richesse esthétique. Le monde sombre, très sombre, des enfers où se passe la totalité de l’histoire de Pierre-Henri Laporterie permet à l’auteur de démontrer une inventivité permanente en termes de lumières et de couleurs, qui rend chaque page extrêmement séduisante.
Bien sûr, Mimiphisto suit la trame du roman classique d’apprentissage, destiné aux enfants les plus rebelles : se désolant de ne pas être reconnu par son père, très occupé, comme un quasi-adulte, Mimiphisto s’enfonce dans les profondeurs du royaume paternel (dont le plan ressemble quelque peu à celui du métro parisien !) à la recherche d’une baguette – non pas de magicien, mais de chef d’orchestre – qui lui permette de contrôler les âmes. Au bout de son aventure, il aura grandi, aura appris beaucoup de choses sur lui-même, qui lui permettront de réellement affronter un avenir qui ne sera pas celui qu’on lui promettait, auquel on le disait destiné. Le lecteur adulte sera forcément heureux de retrouver dans Mimiphisto les principes les plus importants de l’éducation : encourager nos enfants à prendre des risques, sans peur d’échouer, mais avec l’intelligence d’analyser les causes des succès et des échecs.
Rempli d’idées originales – la Musique comme instrument de contrôle, l’enfer comme un labyrinthe de transports en commun – et de personnages pittoresques – Baron Samedi qui évoque l’imaginaire traditionnel de la Louisiane, le monstrueux Contrôleur qui régit les mouvements de tous… – doucement effrayants, Mimiphisto est parfaitement conçu pour distraire et faire réfléchir nos enfants.
Pour un adulte, il présente sans doute un peu trop de « trous » dans la narration pour nous satisfaire pleinement : chaque chapitre, ou « Acte », comme dans une pièce de théâtre, est précédé d’une page d’introduction résumant ce qui s’est passé, et que nous n’avons pas vu / lu depuis l’acte précédent. On se dit finalement que, dans un format de 200 pages au lieu de 80, et en moins édulcoré – les opportunités de scènes de violence ne manquent pas, et elles ne sont évidemment pas exploitées -, Mimiphisto aurait pu devenir un très beau roman graphique.
Et si Pierre-Henry Laporterie s’y attelait, maintenant qu’il a fait le plus difficile, créer un univers et des personnages originaux et fascinants ?
Eric Debarnot