Absent des scènes parisiennes depuis trois ans du fait du Covid, le violoniste pop et expérimental Kishi Bashi s’est rappelé à notre bon souvenir avec un set centré sur son premier album solo, dont on célébrait l’anniversaire. Mais pas que…
Kishi Bashi, on le suit depuis dix ans et sa collaboration avec Of Montréal, mais on est vraiment tombés sous le charme de cet étonnant violoniste qui mêle expérimentation et pop de facture très classique avec son merveilleux album de 2019, Omoiyari. Pour le moment, on ne peut pas dire que Kaoru Ishibashi (le véritable nom de Kishi Bashi), américain d’origine japonaise, soit excessivement populaire en France. Il remplit pourtant très convenablement Petit Bain ce soir, pour sa tournée des 10 ans d’anniversaire de son premier album en solo, 151a. Et son public est jeune et enthousiaste, ce qui ne gâche rien…
20h20 : Tall Tall Trees, c’est Mike Savino, l’un des musiciens accompagnant Kishi Bashi. Un homme-orchestre de Caroline du Nord, armé de son banjo « augmenté », c’est-à-dire avec des lumières et une caisse de résonance permettant de l’utiliser comme percussions (le « banjotron 6500 » nous annonce-t-il). Il construit des boucles et des bidouilles électroniques sur lesquelles il chante d’une voix très jolie. Mike est sympathique et drôle, mais ce qui est vraiment très bien, c’est qu’il ne rechigne pas à faire du bruit, beaucoup de bruit, avec des sons de guitare – de banjo, pardon – ultra saturés. Il est ensuite rejoint par le batteur de Kishi Bashi pour un titre très entraînant, au démarrage genre « roots » qui enfle en délire psyché exalté par un solo virtuose… de quoi donner des idées à King Gizzard ! L’enthousiasme monte dans la salle pour un final frénétique qui fait à nouveau le grand écart entre duelling banjos et le garage psyché. Charmant !
21h10 : Kishi Bashi entame devant un public conquis d’avance la retranscription intégrale, « from top to bottom » de son « début album », 151a. Le terme « début » lui permet de philosopher sur l’usage de mots français dans la langue anglaise, remontant à Guillaume le Conquérant – car il a de la culture, l’ami Kaoru : on sait d’ailleurs que c’est son intérêt pour l’histoire qui l’a fait remonter (à moins que ce soit l’inverse) à l’époque des persécutions US contre les immigrants japonais pendant la seconde guerre mondiale, l’un de ses grands sujets de chansons. Kaoru fait aussi beaucoup d’auto-dérision sur sa connaissance très limitée de notre langue, tandis qu’il prend le soin de numéroter en français la place de chaque titre sur l’album, et qu’il nous narre ses mésaventures à Paris lors d’un Thanksgiving remontant à trois ans, où il avait cherché sans succès un restaurant français où il y ait de la dinde au menu (« mais il y avait beaucoup de jambon, jambon, jambon ! »). Bref, Kaoru aime bien parler, un peu trop même peut-être, ce qui coupe souvent l’élan entre deux morceaux.
Il est accompagné de Mike Savino, qui joue un rôle central dans la musique, et la colore inévitablement de sonorités « folkloriques », d’un batteur prénommé Quinn qui n’officiera que pendant la moitié environ des titres (il faut dire que Savino est un as des percussions avec son banjotron !), et d’un bassiste / guitariste originaire de Brighton qui devra passer tout le set assis suite à ce qui semble être un accident et une jambe cassée. Le son est, comme toujours à Petit Bain, excellent, et on regrettera seulement l’éclairage un peu faible, sans doute à la demande de Kaoru. Bien entendu, l’enchaînement des titres prive la première partie du set de tout effet de surprise (même si Kaoru nous régale d’un délicieux épisode de human beatbox), et nous condamne à attendre les titres que nous préférons (le très entraînant, très Beach Boys Bright Whites, le merveilleux I Am the Antichrist to You) en patientant sur ceux qui nous parlent moins.
C’est quand on passe à une sélection de titres extraits des autres albums que le set décolle vraiment : l’enchainement imparable de Penny Rabbit and Summer Bear (un titre que nous aurions toujours bien vu figurer sur un album de XTC de la période Skylarking) de l’entraînant Carry on Phenomenon et de Philosophize in It! Chemicalize with It! (qui évoque le Paul Simon de l’époque Graceland…) font monter l’enthousiasme d’un cran, et on touche au délire sur The Ballad of Mr. Steak et Honeybody, deux titres il est vrai presque commerciaux, sur lesquels il est impossible de ne pas danser.
Ce qui ravit finalement le plus avec Kishi Bashi, c’est sa capacité à éviter toute démonstration de virtuosité gratuite au violon, lui qui est pourtant un brillant musicien, pour porter toute son attention à la texture musicale et aux mélodies. Et si, vocalement, il n’est pas aussi impressionnant que sur ses albums, son utilisation pertinente des boucles permet régulièrement à la musique d’atteindre une belle richesse.
Puisqu’on parle de virtuosité, il faut néanmoins reconnaître qu’on attend le terrassant et bien nommé Violin Tsunami promis en rappel par la setlist… Et puis non : à la place, Kaoru s’empare de la guitare électrique pour nous offrir une version très émouvante de Summer of ’42 ! Le set, d’une heure vingt au total, se clôt sur une étonnante et chaleureuse reprise du formidable This Must Be the Place des Talking Heads, qui permet à Kaoru de nous rappeler ce que nous avons appris au cours du confinement, que le plus important, dans ce monde difficile dans lequel nous vivons, est de trouver notre place au sein de l’amour des autres. Une belle conclusion émouvante à un concert qui aura oscillé entre rêve, humour et rythmes dansants, en cherchant visiblement parfois un équilibre difficile à atteindre…
Et puis, bon sang, Kaoru, pourquoi ne pas avoir inclus sur la setlist de ce soir ces deux merveilles que sont A Song for You et Angeline ? Il va falloir que tu reviennes, et sans attendre trois ans cette fois…
Texte et photos : Eric Debarnot