Magnifique conclusion, certes dure émotionnellement mais d’une grande richesse, de la saga de l’Arabe du Futur. Une grande œuvre se referme de manière superbe, et on attend… la suite de l’autobiographie de Riad Sattouf !
La lecture du premier volume de L’Arabe du Futur, en 2014, nous avait plongés dans une certaine perplexité, en dépit des nombreuses qualités du travail de Riad Sattouf, ces qualités qui ont d’ailleurs hissé la série au fil des années sur le podium des libraires : la violence du rejet du père, la description radicale – à la limite haineuse – du mode de vie syrien nous avaient embarrassés. Qu’est-ce qui pouvait bien pousser Sattouf, dont on connaissait déjà, il est vrai, les chroniques sans pitié du comportement d’une jeunesse dont il n’était pas si éloigné, à tant de… colère ? 8 ans – et 5 tomes – plus tard, en refermant ce dernier volume de l’Arabe du Futur, les larmes aux yeux et le cœur chaviré, il est clair pour nous que Sattouf a gagné son pari : nous faire partager l’épreuve qu’a été pour lui et pour sa famille les rapports avec un père à la fois traditionnel (ses références permanentes à la religion) et abusif, qui sera allé jusqu’à enlever l’un de ses fils et le tenir à l’écart des siens pendant des années. Et nous faire détester ce père autant que lui, et comprendre également, « de l’intérieur », les dérèglements de la société syrienne qui ont d’ailleurs largement contribué à la guerre civile ayant englouti le pays.
Les 176 pages du dernier chapitre des mémoires de Sattouf, en tous cas pour la partie de sa vie qui a autant dépendu de son père, ce fameux « arabe du futur » bien vite retourné vers le passé le plus conservateur, couvrent cette fois plus de quinze ans. Quinze ans qui nous permettent de comprendre aussi, même si ce n’est pas le sujet premier du livre, l’accession du jeune Sattouf au succès professionnel, en parallèle avec sa libération progressive de l’influence néfaste de son père, grâce en particulier à une psychothérapie qui semble lui avoir quasiment sauvé la vie, alors qu’au sortir de l’adolescence, il s’enfonçait dans la détestation de soi. Il faut bien reconnaître que ce dernier chapitre est le moins… divertissant, le moins drôle aussi, de tous : alors que Riad connaît toutes les galères possibles – amour, santé, travail, finances, rien ne va -, sa famille s’enfonce, elle, dans les malheurs de l’âge qui avance, de la vieillesse qui détruit corps et esprits. Souvent terriblement triste – parce que, comme toujours avec Sattouf, terriblement juste – l’Arabe du Futur 6 est sans doute le volume plus bouleversant, le plus fort émotionnellement de la série.
Les fans y croiseront avec plaisir des figures importantes de la BD française moderne (Guy Vidal, Emile Bravo) mais aussi l’équipe de Charlie Hebdo, qui contribueront tous à la reconnaissance du travail de Riad : ces passages donnent d’ailleurs envie de lire un jour une autobiographie de Sattouf qui se concentre sur son Art. Les passionnés de psychothérapie et de psychanalyse apprécieront le sérieux avec lequel l’auteur aborde le sujet, et montre de manière très simple, très visuelle, comment ce travail l’a aidé à sortir du trou. Et ceux qui aiment avant tout Sattouf pour son humour ? Moins gâtés sans doute ici, on l’a dit, ils apprécieront la jolie idée de faire commenter les péripéties de la vie du jeune Riad par son père, jamais avare de critiques et moqueries : on n’est pas si loin du diablotin parlant dans la tête de Milou chez Hergé, mais chez Sattouf, on tient là aussi l’illustration parfaite du « mal » fait par le père à ses enfants, qu’il hante comme un fantôme.
Voilà, on referme ce livre sur une jolie conclusion – que nous ne spoilerons pas – avec beaucoup de joie. Et avec la tristesse de savoir qu’il n’y aura pas de tome 7. Mais, loin de la Syrie dévastée, et une fois le fantôme du père chassé, la vie de Riad Sattouf continue : cela nous promet encore beaucoup de très beaux livres comme l’Arabe du Futur.
Eric Debarnot