Directement inspiré de l’imagerie « Super sentai », Fumer fait tousser, le nouveau film du prolifique Quentin Dupieux, est encore une fois l’occasion de gouter à un humour délirant, noir et absurde avec ici un casting prestigieux.
On a pu le constater dans la production prolifique de Quentin Dupieux (cinq longs métrages en quatre ans) : l’énergumène ne manque pas d’idées fantasques lorsqu’il s’agit décrire des histoires. Ses films sont courts, étirent un concept sans nécessairement le conclure, et passent à un nouveau délire. Fumer fait tousser n’échappe pas à la recette, et semble même l’accélérer : plutôt que de se concentrer sur une idée saugrenue, autant les multiplier au sein de récits en abyme qui pourront joyeusement dériver sur les terres fécondes de l’absurde.
Le récit cadre qui réinvestit la chaleureuse étrangeté de la Provence déjà visitée dans Mandibules sera tout aussi délirant que les sketches à venir : une équipe de la Tabac Force, directement inspirée de l’imagerie Super sentai combat une tortue mutante en latex avant de se voir mise au vert pour travailler la cohésion d’équipe. L’occasion, après des bains d’hémoglobine et un pastiche vintage assez savoureux, d’une réunion autour d’un feu de camp et d’une variation type Décaméron, où chaque membre du groupe proposera son histoire. L’occasion, aussi, d’élargir encore un casting déjà prestigieux, au fil de récits encadrés qui verront défiler tout ce que le cinéma d’humour français compte de branché, ou désireux de l’être.
L’humour délirant de Dupieux trouve ici un nouvel élan, et resserre sur 80 min de multiples motifs qui, comme souvent, se passent d’explication, entre un Rat baveux à la voix de Chabat et un frigo supermarché : les règles de cet univers parallèle sont à prendre comme telles, et tout spectateur familier du cinéaste le sait pertinemment. Le recours aux récits secondaires ménage néanmoins une structure qui rappelle celle des nouvelles fantastiques, dans lesquelles l’étrange suscite une forme d’inquiétude : des histoires pour faire peur, en somme, sentiment que convoitent des héros qui ont pris conscience que leur statut rendait impossible la défaite. Au fil de ces digressions, une sorte de mélancolie teintée d’un humour noir vivace s’installe, abordant l’éco-anxiété, la dévoration par la machine ou la peur de se retrouver seul face à ses pensées.
Dupieux n’a jamais souhaité qu’on interprète ses délires, ni qu’on plaque sur son écriture un quelconque discours ; il n’en demeure pas moins que, consciemment ou pas, toute sa collectivité fait bonne figure face à tous les signes de l’effondrement : même le barracuda en train de cuire continue tranquillement de raconter son histoire, comme si la fiction restait l’ultime recours pour accepter de continuer à vivre. L’angoisse (l’instabilité du réel dans Réalité, l’obsession dans Le Daim, la fuite du temps dans Incroyable mais vrai) était déjà présente dans son écriture, mais elle prend ici une tournure plus marquée, d’autant plus qu’elle s’illustre certes dans l’absurde et l’humour noir (le massacre sous une bâche, la bouche dans un baquet de sang…), mais également au fil de portraits clairement attendris des personnages. Les histoires d’amour, les relations de famille et la fameuse cohésion d’équipe permettent de donner un enjeu à la menace d’apocalypse, qui vient relancer ce qui ne s’était illustré que dans les récits encadrés : la destruction n’est plus une pirouette supplémentaire, mais un motif d’alarme. Et aux échappées rassurantes de la fiction succède un changement d’époque en suspens qui viendra renforcer cette inquiétante étrangeté, ravivant avec un charme certain l’imaginaire débridé du cinéaste.
Sergent Pepper