Days marque le retour dans les salles françaises d’un cinéaste qui fit il y a trente ans les beaux jours festivaliers du cinéma de Taïwan. Il n’est cependant pas interdit de penser que Tsai Ming-liang a pu être plus inspiré qu’ici.
La fin des années 1980 et le début des années 1990 marquèrent l’arrivée de Taïwan sur la mappemonde festivalière. Avec trois chefs de file : Hou Hsiao-hsien, Edward Yang et Tsai Ming-liang. Depuis, Yang n’est hélas plus parmi nous, Hou a fini par tourner son vieux projet de wu xia pian (le beau The Assassin) en dépit de ses problèmes de santé et Tsai a continué à tourner avec moins d’écho critique. Le cinéma taïwanais visible en Occident relève désormais plus du cinéma populaire : par exemple un The Sadness en forme de Bad Taste féministe au scénario négligé sorti en France ou A Sun, tentative assez réussie du touche-à-tout Chung Mong-hong d’intégrer l’influence des auteurs taïwanais au mainstream (disponible sur Netflix).
Diffusé sur Arte en 2020, Days sort donc en France deux ans après avoir été montré à Berlin. Louons à ce propos le travail du distributeur Capricci pour tenter de sortir en salles des propositions de cinéma exigeantes. Surtout dans ce difficile contexte post-COVID. Days incarne donc une expérience de cinéma à laquelle certains adhèreront… ou qui pourra susciter un violent rejet. Les défenseurs parleront d’un cinéma qui choisit la durée et l’opposé absolu de la dramatisation pour filmer les gestes quotidiens et montrer le non visible à l’œil nu. D’autres crieront à la purge.
C’est que le film radicalise le dispositif du cinéaste fait d’étirement des plans et de croisements choraux. D’un côté on suit le quotidien de Kang, campé par le Jean-Pierre Léaud du cinéaste (Lee Kang-sheng), dans toute sa banalité. Ce dernier est malade et on le verra ainsi recevoir son acupuncture au cours d’une très longue séquence. De l’autre Non, lui aussi montré dans ses petits gestes de la vie quotidienne tels que la préparation de plats. Le film est de plus volontairement non sous-titré. Ce qui n’est pas si pénalisant au vu de la minceur de la trame et du très peu de dialogues.
Les récits vont se croiser lors d’un massage érotique tarifé de Kang par Non. Scène de 25 minutes dont le côté anti-érotique met (lourdement) en exergue les solitudes des deux personnages. En revanche voir Kang offrir au masseur une boite à musique jouant le score des Feux de la rampe est un grand moment du film, révélant qu’un lien émotionnel s’est créé au milieu de la transaction. Hélas le film va de nouveau tourner en rond dans son dispositif avant une superbe fin en mode Madeleine de Proust. Fin ne faisant pas oublier que le dispositif du film a trop rarement su faire émerger la grâce, le bel accident. Alors oui, l’instant fragile d’une rencontre peut brièvement rompre la solitude urbaine et se transformer ensuite en souvenir éternel. Mais ce terrain a été arpenté mille fois de façon nettement plus convaincante par le cinéma d’auteur contemporain : le Wong Kar-wai de Happy Together par exemple.
Le film fait regretter le moment où les dispositifs de Tsai étaient irrigués de rébellion juvénile (Les Rebelles du Dieu Néon), d’énergie du désespoir (La Rivière) et d’une part de burlesque (Vive l’Amour, Et là-bas quelle heure est-il ?). Ces films-là sont justement visibles lors de la rétrospective du Centre Georges Pompidou consacrée au cinéaste, se déroulant depuis le 25 novembre et s’achevant le 2 janvier.
Ordell Robbie.