« Hoka Hey ! » est le cri de guerre des Lakotas. Un cri qui, poussé à pleine gorge, terrifie l’adversaire et exalte le guerrier défiant un ennemi supérieur en nombre. Avec cet album, le talentueux Neyef propose un ambitieux et sombre western.
Georges, un jeune orphelin indien, a été élevé et converti au christianisme par un pasteur sans scrupules. Sa vie bascule le jour où trois cavaliers inconnus, en quête de vengeance, viennent interroger, puis exécuter sous ses yeux, le triste « homme de Dieu ». Little Knife, le guerrier impitoyable, No Moon, la squaw mutilée et Sully, l’immigré irlandais, sont en fuite. Les Indiens ont été vaincus et relégués, affamés et humiliés, dans des réserves. Refusant la défaite, ayant rompus toutes leurs attaches avec leurs communautés, tuant sans hésitation, les fugitifs ne sont plus que des despérados dont la tête est mise à prix. À leur contact, Georges va renouer avec sa culture indienne, apprendre à se défendre et faire renaître chez ses compagnons une parcelle d’humanité.
Le livre est magnifique. Une pagination généreuse, un papier épais et une impression mate magnifient un dessin fin et surprenant. Formé à l’école du manga, les décors et les chevaux de Neyef sont finement travaillés dans de grandes cases, tandis que ses visages sont plus sobrement brossés. Auteur complet, il a particulièrement réussi sa colorisation. Les immenses plaines américaines se déploient sous nos yeux. La lumière est somptueuse, les couleurs changeantes et les reflets habilement ciselés sur les visages de ses héros.
Les personnages, fussent-ils secondaires, sont justes. Leur étonnement, face à la mort, est sincère. De jeunes héros en fuite, des destinées tragiques, une alternance de temps de contemplation et de rapides explosions de violence au chœur d’une nature enchanteresse, Neyef transpose, en bande dessinée, les fondamentaux de La Balade sauvage (Badlands), le chef d’œuvre du premier Terrence Malick.
Deux petites réserves, quelques dialogues à la lucidité trop prophétique perdent en crédibilité et le dénouement, bien que cohérent avec l’histoire, dépend d’une coïncidence trop hasardeuse. Deux réserves infimes, pour un très bel ouvrage.
Stéphane de Boysson