Plus noir que le dernier album de Micah P. Hinson, I Lie To You, c’est très difficile. Mais plus beau, ce n’est pas plus facile. Voici 10 nouvelles chansons splendides qui vous feront terriblement mal pour vous faire, finalement, tant de bien !
« Please Daddy, don’t get drunk this Christmas, I don’t wanna see my mama cry » (S’il te plaît, papa, ne te saoule pas ce Noël, je ne veux pas voir ma maman pleurer – Please Daddy, don’t get drunk this Christmas) : c’est un sacré choix en matière de reprise d’une chanson country. Et, derrière la voix triste à en pleurer de Micah P. Hinson, il y a un banjo et même un accordéon. Si vous n’avez pas encore envie de vous pendre ce Noël, cette chanson pourrait bien vous y inciter de toute manière. Mais la question, la seule valable en fait, est : « Pourquoi se ferait-on du mal en écoutant le dernier album du type le plus ravagé par la vie depuis la disparition de Vic Chesnutt » ? Masochisme au dernier degré ? « I Came so Far for Beauty, I left so much behind », chantait Leonard Cohen, qui en connaissait un rayon en matière de beauté. Et de tristesse.
« Dream up someting so dark we cannot breathe » (Rêvons de quelque chose de tellement sombre que nous ne pouvons pas respirer) : oui, Ignore the Days a un rythme de valse lente, et s’élève même vers le ciel avec un lyrisme qui justifie que Micah P. Hinson ait choisi ce titre pour ouvrir son nouvel album, I Lie to You, le premier depuis 2018 : avec un peu de chance, ce titre presque accueillant musicalement recrutera de nouveaux clients qui ne feront pas attention à ses paroles vénéneuses – ou qui ont la chance de ne pas comprendre l’anglais -, et qui, du coup, seront tentés de pénétrer dans la sombre échoppe qu’est l’âme tragique du Texan. « Cast our demons but let not God save our souls » (Chassons nos démons mais ne laissons pas Dieu sauver nos âmes) : noir, c’est noir, il n’y a plus d’espoir.
« Gimme a knife, I’ll show you my veins / … / Gimme a pistol, I’ll blow out your brain » (Donne-moi un couteau, je te montrerai mes veines / … / Donne-moi un pistolet, je te ferai sauter la cervelle), c’est un peu plus loin, sur Walking on Eggshells, et c’est une chanson dans laquelle, sur un air country presque joyeux, Micah P. Hinson décide de tout mélanger, suicide, meurtre, folie : marcher sur des œufs, c’est devenir fou, nous confie le chanteur indie-folk, qui semble ici, encore une fois, au bout de sa vie. On sait que cette vie n’a été qu’une suite de catastrophes, d’accidents, de drames, de coups durs, et on comprend que vivre ce genre de choses est finalement indispensable pour qu’une voix humaine arrive à porter un tel fardeau : ça reste pourtant un sacré prix à payer pour être capable de pondre ainsi 10 vrais chefs d’œuvre qui ne pourront que dévaster le cœur de ceux qui les écouteront.
Bon, l’ami Micah, réfugié en Italie sur ce coup-là, n’est pas totalement seul avec sa voix, sa guitare et son banjo, pour enchanter ce I Lie To You, qui est, vous nous aurez compris, une absolue splendeur : il y a une bande d’Italiens inspirés qui font passer la pilule (raide, la pilule) en enjolivant tout ça de cordes, de percussions, de machins qui rendent les chansons un poil plus civilisées, plus digestes. Mais tout juste. Il y a aussi une production luxueuse, qui jamais n’est superfétatoire, mais est presque comme une bouée jetée aux auditeurs qui n’en peuvent plus de retenir leur respiration pour le pas boire la tasse, la grande, la dernière.
Il faut quand même souligner que si Micah va mal, ce n’est pas seulement parce qu’il a le sentiment d’avoir fichu en l’air toutes ses relations : « Wasted Days and Wasted Nights, I’ve cried for you / … / I’ve lied to you » (Jours perdus et nuits perdues, j’ai pleuré pour toi / … / Je t’ai menti), chante-t-il sur Wasted Days and Wasted Nights)… C’est aussi parce qu’il a aussi perdu espoir devant l’état actuel de la société. Plus direct comme constat que celui qu’il dresse dans People, impossible : « Now I am old I see people ignoring people all the time, because we are people ignoring people in their prime. I find that people killing people is now the normal because we are now people who kill people after the long, dark storm. » (Maintenant que je suis vieux, je vois les gens ignorer les autres tout le temps, parce que nous sommes des gens qui ignorent leurs autres dès notre plus jeune âge. Je trouve que les gens qui tuent des gens sont maintenant la norme, parce que nous sommes devenus des gens qui tuent des gens après la longue et sombre tempête). Bref, Micah P. Hinson ne va pas bien, mais vous devriez voir l’état du monde en général !
Le disque se clôt sur une sorte d’élan vers la lumière, comme un Springsteen ou un Tom Waits savaient en écrire il y a quelques décennies de cela : 500 Miles a beau être le traditionnel éloge de la fuite, il est difficile, en versant nos dernières larmes, de ne pas sentir cette fameuse… « élévation », comme la décrivaient les poètes romantiques – ou même un Baudelaire, tiens – qui savaient que ce n’était que dans le désespoir absolu, quand on était tombé au fond du puits, qu’on pouvait la trouver, justement, cette lumière.
« If you miss the train I’m on, then you know that I’ll be gone, you can hear the whistle blow, a hundred miles » (Si tu rates le train dans lequel je suis, alors tu sais que je serai parti, tu entends le coup de sifflet, à cent miles de là…)
Eric Debarnot
Micah P. Hinson – I Lie To You
Label : Ponderosa Music Records
Date de parution : 2 décembre 2022