Si le premier volume de la nouvelle collection ou série dirigée par Run, Lowreader, séduisait par son concept, inspiré par des modèles classiques venus des USA, tout n’y était pas encore convaincant. Ce deuxième tome, avec trois histoires impeccables, démontre une maîtrise accrue et confirme le potentiel du concept. A suivre…
En janvier dernier, nous avions été impressionnés par Lowreader, un concept développé et mis en œuvre par Guillaume Renard (Run) : proposer aux lecteurs de BDs une relecture des classiques US façon EC Comics, en en actualisant le contenu tout en en respectant la forme, pour faire se rencontrer la modernité des sujets et une sorte de désuétude de la forme susceptible de séduire le collectionneur qui sommeille (d’un sommeil très léger, avouons-le) en nous. Trois récits complets constituent le fond principal de chaque volume, complétés par toute une gamme d’articles, plus ou moins rétro / parodiques : courrier des lecteurs, articles semi- ou complètement sérieux complétant le sujet de chacun des récits, courte nouvelle fantastique, (fausses) publicités, poster… Une véritable mine d’informations et de divertissements plus ou moins au second degré.
Mais, bien sûr, ce qui compte vraiment, c’est la qualité des trois récits, qui s’avère cette fois supérieure à celles du premier volume. On commence par Slum Kids, écrit et dessiné par Petit Rapace, qui narre la dure survie d’un enfant dans une gigantesque décharge (Los Olvidados de Buñuel transposé dans le futur…) : effectuant des livraisons de drogue pour l’un des caïds du coin, il réalise peu à peu le mal que la drogue cause, et décide de résoudre la situation par la violence. Mais la violence est-elle réellement une solution ? Le dessin, moderne et stylisé, ainsi que la mise en couleurs sont remarquables, les scènes de violence et de gore sont ultra-efficaces, mais la conclusion – morale, ce qui est l’une des règles du genre – est sans doute un tantinet trop évidente, manquant finalement d’aspérité.
Le second chapitre s’intitule Dark Reflection, et a été réalisé par Run, Singelin et Pivwan : c’est une remarquable réflexion sur le monde impitoyable de la célébrité et des réseaux sociaux, cette fois dans le contexte des stars de la K-Pop. Pas si loin du chef d’œuvre de Satoshi Kon, Perfect Blue, Dark Reflection décrit la descente aux enfers de l’une des chanteuses d’un groupe phare, harcelée par les fans qui ne la trouvent pas à la hauteur de son rôle. Un joli twist final permet à ce conte glaçant de se conclure dans une atmosphère de désespoir assez marquante. Une grande réussite, indiscutablement, sur un sujet réellement pertinent, supporté par deux articles « de fond » sur les mêmes sujets.
Vanished, la troisième histoire, est la meilleure, construite à partir de faits réels – et terribles -, la disparition de jeunes femmes d’origine indienne au cours des 40 dernières années, au Canada, le long d’une portion de route traversant des forêts désertes, et surnommée depuis « The Highway of Tears » (la route des larmes). Tout est excellent dans cette œuvre de Run et Chesnot, le scénario, la narration, le dessin, la mise en couleurs, mais surtout une véritable profondeur humaine au-delà d’un discours politique bien senti. C’est tellement bon qu’on regrette que cela n’est pas donné lieu à une BD complète d’une centaine de pages, plutôt qu’un court récit d’une trentaine. Une idée à creuser…
En tous cas, après la réussite de ce second tome, on a affaire avec Lowreader à une proposition réellement crédible, susceptible de plaire au plus grand nombre…
Eric Debarnot