Sans pathos, avec pudeur mais aussi suffisamment de franchise pour ne pas cacher la brutalité que cela implique, Charlotte Biron parle remarquablement de la douleur. Une langue très poétique. Des références à des autrices et auteurs contemporains. 136 pages seulement, mais de quoi lire et relire pendant des heures.
Est-ce décourageant de dire que ce livre est « dur » ? Il ne faudrait pas, ce serait malvenu et dommage, vous risqueriez de passer à côté d’un superbe récit. Car cette dureté est celle d’une pierre noire et sombre, un granit que la nature a façonné comme une œuvre d’art, à une lame acérée, forgée par les artisans les plus habiles.
Ne vous fiez pas à cette couverture rose pâle. La couleur qui règne sur ce récit est le gris triste des petits matins glacés. Le jaune abstrait des néons des salles de consultation et des salles d’opération, des « néons qui clignotent comme si c’était un hôpital de guerre ».
Ne vous fiez pas à ce résumé de quatrième de couverture qui laisse si peu transparaître ce dont parle ce récit (qui est plutôt in-résumable) : « des murmures, bientôt des phrases », « des voix à la radio »… mais qui sont là pour « tromper la solitude et la douleur », la douleur d’un « corps en convalescence, improductif, à l’écart du monde ».Car c’est de cela qu’il s’agit. La radio est là en effet. Les voix, les enregistrements mais ce récit est celui d’une douleur. Mais comment parler de la douleur ? De la maladie ? De ce qui précède et de tout ce qui s’en suit ? Comment dire l’indicible ? Ce qu’on ne peut pas dire parce que c’est trop dur, mais de ce qu’on dire parce que c’est le seul moyen le dompter (si tant est que ce soit possible) ?
La narratrice a une tumeur à la mâchoire. Elle part à l’hôpital avec sa mère. Les opérations se succèdent, se répètent. Un prélèvement d’os à la hanche pour reconstruire la mâchoire, ce qui l’empêche de marcher. Et, entre chaque opération, le repos mais surtout l’arrêt car « la maladie empêche le déroulement normal des jours, la maladie mange les jours ». L’oubli – « mes amies ne m’écrivent plus pour savoir comment l’opération s’est déroulée ». Et la colère, une vraie colère, l’envie d’être désagréable avec les infirmiers et les infirmières, les autres malades. Et la douleur. La solitude qu’on éprouve face à la douleur. Comment établir une relation avec cette douleur ? Lui donner un nom ? En parler ? Comment parler de cette tumeur ? Écrire, prendre des notes, « ce serait un projet littéraire sous forme de fragments », mais « ce n’est pas l’histoire d’une tumeur ».
Charlotte Biron nous balance un coup de poing en pleine gueule avec ce récit à l’odeur du sang, de médicaments et d’urine, froid comme le sol d’une salle de bain, violent comme une tumeur à la mâchoire, douloureux comme une longue série d’opérations, comme l’oubli et la disparition. Et peut-être l’espoir de la radio.
Alain Marciano