Une soirée vivifiante et excitante avec de véritables Aventurières et les Aventuriers du Rock actuel, dans la jolie salle de l’Espace Gérard Philipe, voilà qui nous a fait oublier l’espace de quelques heures la rigueur de l’hiver…
Quand on passe trop de temps à enchaîner les concerts d’artistes confirmés, on peut oublier que la réalité de la musique c’est avant tout, « sur le terrain » comme on dit, des centaines d’associations, de bénévoles qui, à travers tout le pays, permettent aux musiciens de tourner, de rencontrer un autre public que celui des « salles phares », et donc à la musique de… vivre, tout simplement. Formidable exemple de cette vitalité, le Festival les Aventurier-e-s à Fontenay-sous-Bois, qui s’associe d’ailleurs au mouvement « More Women on Stage » et propose cette année une affiche respectueuse de la parité. L’ambiance dans la jolie salle Gérard Philipe est chaleureuse en dépit du froid polaire qui règne sur Paris : on peut manger des empanadas, participer à une loterie et discuter avec les bénévoles avant le démarrage de la soirée. Très, très cool !
20h10 : le trio de Grandma’s Ashes ouvre le concert. Nos trois musiciennes sont particulièrement « classe » ce soir, mais se montrent surtout très élégantes dans leur jeu de scène de plus en plus convaincant. Très rapidement, on sent que le groupe a aussi progressé techniquement, pendant que sa musique se tournait de plus en plus vers le rock progressif, genre dont elles se réclament désormais clairement. Le son reste toujours aussi joliment brutal, grâce en particulier à la frappe sèche et implacable d’Edith, à la batterie, mais il est au service d’une musique plus légère, évanescente parfois, qui évite tous les clichés du genre pour chercher et trouver régulièrement de nouvelles façons de « raconter des histoires » (comme celle du Seigneur des Anneaux ?). Le chant d’Eva a vraiment progressé, et a des tonalités qui évoquent parfois celui d’Anna Calvi. Les morceaux ne respectent pas les structures traditionnelles du rock, et il faut accepter de se laisse emporter, de dériver au fil de cette musique parfois déroutante, mais toujours traversée, presque aléatoirement, de montées en puissance rageuses. Le final de ce set de 50 minutes retrouvera d’ailleurs une violence directe, plus jouissive, rappelant les débuts d’un groupe qui a quand même évolué. Le public est ravi. Bravo !
COSSE nous ont annoncé la triste nouvelle du départ, début 2023, de leur emblématique bassiste, Lola Frichet (par ailleurs fondatrice du mouvement « More Women on Stage », rappelons-le pour ceux qui l’ignorent), et ce soir sera donc pour nous la dernière occasion de voir le groupe dans sa configuration originale : pas question de manquer ça !
21h35 : COSSE, comme Grandma’s Ashes, ont considérablement progressé au cours de la dernière année, et pour tout dire, l’heure de set qu’ils vont nous offrir va frôler la perfection : haute teneur émotionnelle de tous les morceaux, audace formelle totale puisque la déconstruction du rock se poursuit avec eux sans que l’immédiateté des morceaux en soit radicalement sacrifiée, et surtout formidable énergie scénique respirant une grande joie de jouer. Ce bonheur et cette intensité sont perceptibles à chaque instant, et même si l’on a tendance à ne pas vouloir quitter des yeux Lola, impériale comme toujours dans sa maîtrise de la basse, qu’elle porte très haut et souvent horizontale, il faut admettre que chaque musicien de COSSE fait le spectacle. Nils, le chanteur, vit intensément chacune de ses phrases, mais il suffit de regarder le bonheur sur le visage de Tim, le batteur, pour comprendre combien cette musique est partagée entre les 4 musiciens. A gauche, Felipe est un guitar hero moderne spectaculaire.
On sait que les musiciens de COSSE se sentent des affinités avec la nouvelle scène anglaise, citant Black Midi parmi les choses qu’ils aiment, mais aussi avec des pionniers comme Gilla Band, et il faut bien dire que cette communauté de goût se reconnaît sur scène… même si COSSE n’a rien à envier désormais aux groupes susnommés. Il reste que dans la salle, l’enthousiasme du public semble moins grand que devant Grandma’s Ashes : COSSE, trop radical ? Même si la setlist décline les titres déjà bien connus du groupe, on aura droit ce soir à un nouveau morceau de l’album prévu pour février 2023 (Braindown ?), et à un splendide rappel instrumental, Seppuku. Et si COSSE étaient en route pour devenir un groupe majeur ? Lola, ne t’en va pas !
Très belle soirée donc, en dépit d’un public qui aurait pu venir plus nombreux. Les organisateurs de ce beau festival le méritaient, tant leur démarche de proposer sur la même affiche deux groupes défricheurs, sortant des sentiers désormais trop battus du post punk, était louable…
Et bravo à l’équipe technique pour un son et des lumières impeccables, on oserait dire supérieurs à ce qu’on trouve parfois dans des salles prestigieuses de Paris Intra-muros.
L’aventure continue !
Texte et photos : Eric Debarnot