Un soir, pendant un concert, la grande Nina Simone abandonna derrière elle, collé sur son piano, un chewing gum mâché. Warren Ellis le recueillit, et décida, de nombreuses années plus tard, de lui donner une nouvelle vie. Ceci est l’histoire de ce chewing gum.
Warren Ellis, le vieux et plus fidèle partenaire de Nick Cave, vient donc de publier un livre, le Chewing Gum de Nina Simone, dont le protagoniste principal n’est autre qu’un chewing gum, mâché qui plus est, collé par la grande chanteuse de jazz et de soul sur son piano avant d’entamer un concert, puis soigneusement recueilli par Warren : une relique improbable qui va ensuite traverser des décennies jusqu’à finir… Mais pour savoir comment il finira, il vous faudra lire ce livre étonnant. Alors, est-ce que Warren serait devenu un émule de Quentin Dupieux, qui filme bien, lui, des histoires de pneus serial killers ? Eh bien, non, pas tout-à-fait…
Car ce que Warren Ellis nous raconte ici, c’est l’histoire d’une passion qui est la sienne, ou plutôt de plusieurs passions : d’abord, il s’agit de son amour pour la grande Nina Simone, qu’il aura eu la chance de voir peu de temps avant sa disparition au Meltdown festival organisé par Nick Cave, au cours d’un set qui le marquera au fer rouge, et dont il ne s’est jamais totalement remis. Et puis, et c’est là où le livre atteint une étrangeté inattendue, Ellis est un collectionneur excentrique d’objets personnels ordinaires, qu’il garde durant des années, comme des capsules temporelles de moments – importants ou mineurs, là n’est pas la question – de sa vie, elle-même longtemps aventureuse : il dresse ici souvent l’inventaire (à la Prévert, pourrait-on dire) d’objets anodins conservés, oubliés dans un tiroir, un meuble, un attaché case, une valise, durant des années, avant d’être retrouvés, rendus à la réalité, réapparaissant aussi dans sa mémoire.
Ainsi ce chewing gum aussi dérisoire que mythique, enroulé durant des décennies dans une serviette – abandonnée par Nina Simone également sur la scène – qui, curieusement, grâce à la foi quasi religieuse, ou plutôt enfantine, ce qui est plus juste, d’Ellis, va devenir une sorte d’icône bouleversante pour toutes celles et tous ceux à qui il le montrera. Et plus encore, à qui il le confiera, pour qu’il ait une nouvelle vie, sous forme de… (mais pour le savoir, il faut lire ce livre, on vous l’a dit…).
Avec une centaine de photographies illustrant le périple du chewing gum, s’ouvrant sur une brève préface bouleversante de l’ami Nick Cave (mais quel talent !), le Chewing Gum de Nina Simone est un véritable OVNI, ni récit autobiographique – même si certains passages frôlent de près le genre, et donnent d’ailleurs très envie de lire un jour une autobiographie de Warren Ellis -, ni journal intime, ni rapport objectif de faits improbables, mais un peu tout ça à la fois. On ne sait pas très bien à qui en recommander la lecture : aux fans de Nick Cave and the Bad Seeds ? aux fans de Nina Simone ? aux passionnés de musique dans tous ses états, puisqu’il s’agit avant tout ici de parler de la PASSION que certaines personnes peuvent éprouvent pour la Musique ? aux obsessionnels et aux maniaques divers et variés qui aiment stocker pendant des années chez eux des choses absurdes, et qui se sentiront moins seuls en refermant ce livre ?
Une chose est pourtant indiscutable : le Chewing Gum de Nina Simone comporte de formidables moments d’émotion, comme si toute la foi et la magie de Nina, de Warren, de la musique pouvait réellement être contenue, préservée, dans un minuscule fragment de gomme à mâcher.
Et ça, c’est extraordinaire.
Eric Debarnot