En plus d’être un journaliste spécialisé dans le foot anglais, Philippe Auclair est aussi un talentueux musicien et chanteur sous le nom de Louis Philippe. On profite de la sortie d’une compilation qui lui est dédiée pour évoquer quelques-uns de ses disques favoris.
Récemment, Sean O’Hagan, le leader des High Llamas, a compilé parmi les meilleurs titres de Philippe Auclair, alias Louis Philippe pour le compte du label Tapete records. De quoi (re)découvrir ce monde charmant, chanté en anglais comme en français, dont les compositions empruntent aux plus grandes figures du genre, aussi bien du côté britannique que de la Californie éternelle. On a profité de cette sortie pour ale questionner Philippe Auclair – journaliste sportif spécialiste du foot anglais, officiant outre-Manche – sur ses gouts musicaux. Et on n’a pas été déçus !
5 disques du moment :
The Trade Winds – Excursions
Trouvé par hasard, et le hasard avait bien fait les choses. Je connaissais New York’s A Lonely Town, mais pensais qu’il ne s’agissait que d’un one-shot du duo Anders et Poncia – jusqu’à je voie une mention de cet album enregistré en 1967. Cet OVNI de sunshine pop passe en boucle depuis chez moi. Imaginez des chansons imprégnées de pop californienne, mais chantées par un groupe de doo-wop italo-américain, mi Queens, mi-Broadway. Dio & the Belmonts ou les Tokens produits par Brian Wilson, avec un grain de psychédélisme pour épicer ce plat exquis. Miam.
Arthur Verocai – Arthur Verocai
La récente redécouverte de Verocai est de ces choses qui vous font comprendre que le public n’est pas devenu sourd (loin de là), et vous convainquent un peu plus, s’il en était besoin, que la plus riche de toutes les pops est à découvrir au Brésil. Les compositions frisent le sublime, les arrangements l’atteignent sans coup férir.
Duke Ellington – The Perfume Suite
Duke Ellington est l’un de mes dieux. Et quand je dis Duke, je pense aussi bien sûr à son partenaire de presque toujours, Billy Strayhorn, qui contribua ‘Under The Balcony’ à cette suite jouée pour la première fois au Carnegie Hall en 1944 – l’une des compositions les plus sensuelles (et c’est dire !) de Strayhorn, et curieusement presque inconnue de nos jours. Délicieux.
Brad Mehldau Trio – Ode
J’ai eu la chance d’entendre le trio de Brad Mehldau à Londres il y a quelques mois de cela – une révélation. Et parmi les morceaux qu’il joua au Barbican figurait ce titre, Ode, qui s’imprima aussitôt dans mon esprit. Si élégant, si retenu, si émouvant. Le jazz se porte plutôt bien pour un mort.
The Passage – For All And None
Le ‘meilleur’ groupe de Manchester ? Je n’en sais rien. Le seul dont la musique me hante de la sorte, en tout cas. Dick Witts, ancien percussionniste du Hallé, en était l’âme, le principal compositeur, le poète ainsi qu’un chanteur dont la voix me touche comme peu d’autres. Mais attention, danger – cet album est plus sombre que la nuit. C’est comme si Witts avait su avant tout le monde ce que le 21e serait hideux, et nous le peignait avec un mélange d’horreur et de détachement. Je dis bien ‘peindre’, avec des sons (pianos dans les graves, utilisés comme des percussions, roulements de toms, guitares saturées, effets électroniques). Quand j’écoute ‘The Great Refusal’, je le vois, ce verger de cauchemar. En fait, si j’y réfléchis, For All And None pourrait figurer dans mon autre Top 5, celui de ‘toujours’.
5 disques pour toujours :
Milton Nascimento/Lô Borges – Clube De Esquina
Le disque que je choisis comme mon ‘album du siècle’ lorsque Richard Robert m’invita à en choisir un pour une causerie organisée avant notre concert à l’Opéra Underground de Lyon en mars dernier. Voilà une musique solaire, marine aussi, une ligne d’horizon vers laquelle tout musicien devrait tendre sans cesse. Je ne connais pas de disque qui exhale un pareil souffle de liberté ; et la voix de Milton n’a jamais été plus belle que sur ce double album. Un chef-d’œuvre absolu vers lequel je reviens immanquablement quand je ne sais plus où aller.
Prefab Sprout – Swoon
J’ai pleuré à la découverte de ‘Cruel’. Il existait donc, cet autre qui ressentait ce que je ressentais moi-même, et il savait le dire avec les mélodies les plus délicates et les accords les plus tarabiscotés, parfois même dissonnants, sucre et acide mêlés. Tout au long de sa vie, Paddy McAloon a su donner une voix à une masculinité aux antipodes de celle véhiculée par cette chose que je hais – le ‘rock’. Il est le grand frère dont le garçon que j’étais avait besoin pour comprendre comment vivre. Il est aussi l’auteur-compositeur pour lequel j’ai la plus grande admiration aujourd’hui. Pas admiration, en fait – amour.
The Beach Boys – Pet Sounds
Aucun commentaire n’est nécessaire. Notre Everest pop à tous, dont personne d’autre que Brian n’a jamais atteint le sommet.
Lorin Maazel / Orchestre de la RTF – L’Enfant et les sortilèges (Maurice Ravel)
J’écoute davantage de musique française dite ‘classique’ du 20e siècle que de quelque autre type, pour nulle autre raison que son univers harmonique est celui dans lequel je me promène avec le plus d’émerveillement, et jamais plus que lorsque le grand Maurice sert de guide. La fugue finale, ‘il est doux l’enfant, il est sage’ est l’une de ses pages les plus tendres. « Il est si doux… » Et je fonds, chaque fois.
Duke Ellington – Black, Brown & Beige
On a mis le temps, mais on a fini par se rendre compte que B, B & B n’était pas le soufflé prétentieux que ses critiques d’alors s’étaient donnés pour mission de dégonfler. Le seul regret? Que l’accueil plutôt frisquet de la critique (blanche) d’alors aie poussé Duke à raccourcir cette suite, qu’il ne joua que quatre fois dans son intégralité. Heureusement, quelques micros traînaient par là lorsqu’il la présenta au Carnegie Hall en 1944 (et avec Ben Webster et Johnny Hodges à leurs pupitres). Je l’ai déjà dit, Duke Ellington est un dieu pour moi, et B,B & B est sa plus belle création.
Sean O’Hagan presents: The Sunshine World of Louis Philippe
Tapete Records / Bigwax – 11 novembre 2022
Sean O’Hagan presents: The Sunshine World of Louis Philippe : Pop royale