Si vous croyez qu’en Suisse, on ne fait que s’ennuyer en mangeant du gruyère et en écoutant les coucous, vous vous trompez ! A Berne, trois fous furieux opèrent sous le patronyme The Monsters et nous rappellent à chacun de leurs passages que le punk rock, c’est la vie !
Votre équipe favorite vient d’être éliminée de la Coupe du Monde ? Votre femme est partie à l’autre bout du monde et ne vous donne plus de nouvelles ? Vos enfants ne retournent plus vos appels depuis longtemps ? Votre patron souligne lourdement que vous n’avez plus l’âge de faire ce genre de job ? Vous ne pouvez pas payer le chauffage chez vous alors que chaque jour, le thermomètre plonge ? Vous pensez que la planète file un mauvais coton ? Vous vous navrez des propos de plus en plus ouvertement racistes des politiciens ? Il n’y a rien là-dedans qu’un bon concert de punk rock ne puisse vous faire oublier, au moins l’espace d’une soirée ! Direction Petit Bain, où ce soir les poètes romantiques helvètes de The Monsters vont faire les 400 coups.
19h45 : « On s’appelle Holeshots et on vient de Bordeaux ! »… Et hop, let’s go ! C’est parti pour 35 minutes de punk rock impeccable, en suivant l’évangile Ramones. Le trio joue le plus vite possible des classiques instantanés de deux minutes, le guitariste-chanteur saute en l’air toutes les 30 secondes avec une obstination qui force l’admiration, voire le respect quand on imagine l’état de ses pieds à la fin du set. Les chansons sont tantôt vociférées en anglais avec force « let’s go ! », tantôt en français, un effort qu’on apprécie, même si la voix est trop noyée dans l’électricité pour que ça change grand-chose. On se dit que tant qu’il y aura des gens pour jouer de la musique comme ça, on survivra à tout. Ce que jouent Holeshots déborde de joie et de vitalité, d’ailleurs les amis sont dans la salle, les plaisanteries fusent, c’est juste dommage que ça soit un peu trop tôt dans la soirée pour un pogo général. Ils nous offrent même un rappel imprévu avec « une chanson nulle que souvent on ne joue même pas ». Elle s’appelle… on vous le donne en mille : « let’s go ! ».
20h45 : « Moi, ce que j’aime, c’est les monstres ! » : trois gentlemen d’un certain âge, vêtus d’élégantes vestes club de couleur rouge, entrent sur scène aux accents d’une chanson de crooner dégoulinante de pathos. Soit tout le contraire du traitement de choc que The Monsters vont nous infliger au cours des quatre-vingts minutes qui vont suivre : un électrochoc de brûlots punks enchaînés à un rythme frénétique, et sur laquelle Beat-Man hurle comme un damné. Rien de plus mais rien de moins non plus. Le son est très fort, comme il faut – on remarque que les musiciens ne portent pas de protections auditives et nous non plus, bien entendu -, les lumières sont chiches, l’arrière de la scène est barré d’une toile marquée au logo « M », et on n’est pas là pour rigoler.
Sauf que si, en fait, car les Helvètes sauvages savent que la vie est courte, et aussi ridicule : pourquoi ne pas rire, en plus de se prendre une décharge d’énergie sauvage ? Hein, on vous le demande ? Au-delà du look assez dément de Beat-Man, avec son iroquoise réduite à quelques très longs cheveux sur son crâne chauve et/ou rasé, contrastant avec sa belle veste, l’homme nous abreuvera d’excellentes vannes toute la soirée, tandis que la section rythmique ne quittera jamais un air réjoui : ces gens-là donnent l’impression de passer avec nous la meilleure soirée de leur vie, alors comment ne pas leur rendre la pareille ? D’ailleurs, si le moshpit est rapidement en flammes, ce ne sont que des grands sourires qu’on peut voir sur tous les visages. Malgré la sauvagerie ultime de la musique (honnêtement, nous ne nous souvenons plus de la dernière fois où nous avons vu un groupe jouer aussi vite !), il n’y aura à déplorer au cours de la soirée aucun comportement agressif ni brutal, comme c’est malheureusement parfois le cas aux concerts punks « habituels ».
Beat-Man se régale en nous expliquant que The Monsters n’ont jamais su composer la moindre mélodie, sauf pendant le confinement où ils ont écrit une chanson acoustique. On nous distribue alors les paroles de ladite chanson (Yellow Snow Drink) imprimées sur des dessous de verre en carton pour que nous chantions en chœur : cette histoire de suicidé se retrouvant au paradis et souffrant du mauvais goût général est assez hilarante, il faut l’admettre. Et nous change de TOUTES les autres chansons qui ne comportent normalement qu’une phrase, voire un ou deux mots qui doivent être hurlés à pleins poumons, ce que nous nous empressons tous de faire. Qui a dit basique ? Oui, peut-être, mais excitant et fun !
De temps en temps, Beat-Man nous titille en nous annonçant qu’ils vont nous jouer un morceau de heavy metal, parce qu’il a entendu dire qu’on aimait ça à Paris, mais même en essayant très fort, le mieux que The Monsters puissent nous offrir en dehors de leur sacrosaint punk rock, c’est du blues rock bien gras, ce qui nous ira bien de toute façon.
Au bout d’une heure, alors que nos oreilles commencent à souffrir, on passe aux rappels, qui vont aller chercher un peu de diversité. On démarre en gueulant « Ce soir ! » en français, on poursuit par la chanson anti-Noël qui va bien (Happy People Make Me Sick), puis on passe à un Blues Rock bien relevé (I Love You), avant de terminer par un long morceau noisy finalement plus ambitieux que ce qui a précédé, qui rappelle que The Monsters savent jouer, et auraient pu opter pour une carrière musicale « normale »… Mais, franchement, à quoi bon ?
C’est donc le corps et le cœur bien réchauffés que nous quittons Petit Bain, en bénissant les monstres suisses – surtout les vieux monstres -, les organisateurs de la soirée et l’équipe de Petit Bain de savoir si bien ce qui nous rend heureux.
Photos et texte : Eric Debarnot