Jadis, Ricardo Leite a navigué sur la Licorne et le sous-marin-requin. Comment douter de la réalité de ce souvenir ? L’un des plus prégnants de notre enfance. N’avons-nous pas appris à lire avec Pim, Pam, Poum, à rire avec Astérix et à crier avec Tarzan ?
Né en 1957, Ricardo Leite est brésilien. Très jeune, il découvre et collectionne les bandes dessinées. Soutenu par ses parents, il dessine avec l’ambition d’en vivre. En 1970, il manque un rendez-vous avec Hergé, son « idole ». De retour à Bruxelles en 1983, il présente ses travaux aux éditeurs, sans succès. Découragé, il devient graphiste, monte son agence et réussit dans le design. Vingt ans plus tard, suite à son divorce, il revient visiter le musée Hergé, c’est à cet instant que l’album débute.
Accoudé à un bar, Ricardo est rejoint par Hugo Pratt et Corto Maltese, puis par Milo Manara et Claudia. Sans s’étonner de cette irruption du fantastique, un débat s’engage autour de leur passion commune. Ils évoquent techniques et influences, puis se séparent sur une question : pourquoi a-t-il lâché son rêve ? Incapable de répondre, il pénètre dans le musée et tombe en arrêt face à la fusée lunaire. Nous le retrouvons juché sur le lit de Little Nemo in Slumberland, survolant Bruxelles, avant de rejoindre Lucca, puis Angoulême. Les rencontres d’auteurs se multiplient, la discussion s’emballe. Tous sont accompagnés de leurs héros, de Spirou et Le Fantôme à Valentina et Druuna. Je reconnais les Européens et les Nord-Américains. Grâce aux notes astucieusement reportées, afin de ne pas défigurer les pages, en fin d’album, je découvre les maîtres latino-américains. Par touches impressionnistes, ils nous racontent la grande histoire du Neuvième art. La bande dessinée enfantine des années 1950 a grandi avec Ricardo. Pour plaire aux adolescents et aux adultes, elle a muri. Pour nous faire rêver et nous divertir, les comics et les fumetti se sont diversifiés. Pour nous former et nous informer, ils se sont faits politiques et militants. Que nous disent ces monstres sacrés ? Que la magie des rêves, surtout enfantins, est plus concrète et fiable que la réalité. Hergé conclut : « À force de croire en ses rêves, l’homme en fait une réalité. » Non, Ricardo, il n’est pas trop tard, ta plume et tes pinceaux t’attendent.
Neuf années plus tard, émerveillés, nous découvrons son travail. Le rêve du jeune Ricardo s’est incarné dans un bel et épais ouvrage. Le dessinateur est doué. L’influence de Will Eisner, Moebius ou Manara est assumée. Si son trait est toujours réaliste et précis, il prend soin de varier ses cadrages et ses effets, voire de déstructurer certaines planches. Multipliant les détails et les décors, il s’aventure dans le comique et l’onirique. Travaillant à l’encre de chine, son cerné met en valeur ses héros et leurs créateurs. S’affranchissant des contraintes de lieu et de temps, il convoque le panthéon de la BD et lui rend hommage. La bande dessinée est universelle et Ricardo Leite en est son plus respectueux biographe.
Stéphane de Boysson