Le saviez-vous ? Le mois de mars n’apporte pas que des rhumes et des bourgeons. En 2022, il a aussi marqué la sortie du quatrième album d’Alex Cameron. À défaut d’être son meilleur cru, Oxy Music est une bonne occasion de se familiariser avec ce personnage haut en couleurs.
Alex Cameron a tout d’un futur grand. Australien et hanté comme Nick Cave, irrévérencieux et lettré comme Iggy Pop. Bizarre, touchant, taquin et charmeur comme Alan Vega vêtu incognito d’un costume de lounge lizard. Non content de s’imposer dès le premier regard comme un véritable personnage unique en son genre, il peut se targuer d’avoir aligné les réussites depuis ses débuts. Jumping The Shark, Forced Witness et Miami Memory sont tous hautement recommandables, ouvrant des portes grinçantes vers un univers grotesque et profondément humain, peuplé d’une galerie de personnages aussi louches qu’adorables. Tout un petit monde crapoteux et fascinant qu’Alex dissèque, dépeint et incarne avec une gouaille jouissive et un don certain pour la tranche de vie ambivalente.
Nous sommes donc un peu chagrinés et tristounets d’admettre que son dernier-né Oxy Music (jeu de mot adroit sur le vaisseau amiral de Bryan Ferry et l’oxycodone, molécule anti-douleur à l’origine de dépendances cliniques intenses) est très probablement son album le moins enthousiasmant. Non pas qu’il soit mauvais. Les textes sont toujours aussi caustiques, étranges, crus, tendres et décalés. Alex n’a rien perdu de son panache espiègle et le fidèle saxophone de Roy Malloy est toujours là pour dérider les boucles de synthés boudeuses. Non, le souci majeur de ce nouvel album n’est ni dans son écriture ni dans son exécution, mais plutôt dans sa production au son très spartiate et aride (fauché, dirons certains), qui tranche un peu trop rudement avec les atours sophistiqués de ses prédécesseurs. Bien sûr, il est toujours permis (et parfois même, souhaitable et bienvenu) de revenir aux bases pour se dépouiller un peu, mais cela implique de penser son écriture en conséquence.
Or, dans le cas présent, l’effet le plus regrettable de cette philosophie des moyens du bord est que toutes les chansons d’Oxy Music n’en sortent pas indemnes, et que même les compositions plus accrocheuses paraissent ramer un peu plus frénétiquement qu’à l’accoutumée pour nous séduire. En d’autres mots, ça passe ou ça casse, et le décompte des points à la ligne d’arrivée est forcément un peu égratignant. En leur qualité de singles sexy, Best Life et K Hole tentent très naturellement de nous caresser dans le sens du poil, mais semblent ne pas avoir été autorisés à se couper les ongles au préalable. L’écriture toujours très typée finit par faire passer la pilule, sans pour autant que l’on y retrouve le degré de réussite de Real Bad Lookin’, Candy May ou Far From Born Again sur les albums précédents.
On ressort inévitablement de l’écoute d’Oxy Music avec quelques incertitudes sur les causes réelles de ce déphasage. Manque de moyens ? Manque de temps ? Volonté d’enregistrer un album qui capterait les imperfections de l’instant ? Si c’est effectivement le cas, pourquoi ne pas avoir opté pour une orientation musicale qui en tirerait parti, comme l’avaient récemment fait Suede sur Autofiction, par exemple ? Oxy Music est finalement un opus en demie teinte, dont les moments les plus réussis sont au niveau des titres les moins marquants des autres travaux d’Alex. Un album correct, mais aussi le premier qui ne semble pas essentiel à la discographie par ailleurs impeccable de son auteur, et que l’on le conseillera avant tout aux fans les plus complétistes. Pour les néophytes curieux, dirigez-vous plutôt vers Forced Witness, qui renferme tout le charme indéniable d’Alex sans pour autant lésiner sur la mise en scène. Vous verrez, ça vaut totalement le coup.
Mattias Frances