Pierre Bayard nous invite à imaginer une histoire artistique via l’uchronie en imaginant des mondes sans les Beatles, Shakespeare, Proust, Rodin, Freud, Kafka ou Beauvoir pour ensuite proposer un nouveau récit culturel dans des univers parallèles. Bluffant !
Sans faire offense à Pierre Bayard auteur en 2007 de Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ? nous allons parler de son dernier opus Et si les Beatles n’étaient pas nés… en l’ayant lu et en vous autorisant, après avoir parcouru cette critique, à parler du livre sans…
Quel passionné de musique n’a pas tenté, un jour, de convaincre son auditoire que les Pretty Things, The Ruts ou Husker Dü avaient été injustement éclipsés et leurs œuvres « empêchées » par les Stones, Clash ou Pixies ? C’est à quoi s’attèle Pierre Bayard, dans la première partie de son nouvel essai, en imaginant le devenir et l’influence des Kinks Si Les Beatles n’étaient pas nés pour élargir ensuite ce processus uchronique aux destinées de Rodin vs Camille Claudel, Shakespeare vs Ben Jonson (pas le sprinter canadien comme il le précise lui-même). Bayard imagine ainsi des mondes sans les Beatles, Rodin ou Shakespeare et explore les causes qui ont conduit les contemporains de ces célébrités à être éclipsés : par exemple les Kinks et leur nom de groupe trop provocateur, Camille Claudel et la place des femmes dans l’art au XIXème sans oublier le rôle de son frère Paul, Ben Jonson ne bénéficiant pas du soutien des romantiques comme Victor Hugo au XIXème alors qu’il était plus fameux que Shakespeare de son vivant. Il est toujours vertigineux de faire cet exercice dans l’art a contrario des sciences où comme l’a écrit Comte-Sponville : « Imaginez que Newton, Einstein soient morts à la naissance. L’histoire des sciences, certes, en eût été changée, mais dans son rythme davantage que dans son contenu, dans ses anecdotes davantage que dans son orientation » en revanche que serions-nous sans Sgt. Pepper’s et aurait-il existé sans les Beatles ?
Dans la deuxième partie, Influences, Bayard déroule le même modèle non plus dans le champ artistique mais intellectuel avec des mondes sans Marx, Freud, Beauvoir ou Margaret Mead (qui s’est auto éclipsée… lisez-vous comprendrez). Le chapitre sur Freud est particulièrement réjouissant, vous y découvrirez ainsi que sans Freud nous justifierions mieux nos comportements douteux – voire criminels – grâce ou à cause de nos personnalités multiples… C’était la théorie des principaux confrères de Freud à l’époque. A cause de Marx, nous avons sans doute raté un Proudhon aux théories certes séduisantes mais à la personnalité un peu borderline : antisémite et misogyne, bref à quel régime avons-nous échappé ?
L’auteur enchaîne avec les influences rétrospectives, moment de bravoure où il théorise, comme Borges, sur le fait que certains auteurs ont influencé leurs prédécesseurs – a minima la lecture et la réception que nous en faisons – Kafka sur Léon Bloy – Proust sur Flaubert.
La conclusion de Si les Beatles n’étaient pas nés appelle à la création d’une critique quantique. Comme vous n’êtes pas sans le savoir les dernières découvertes de la physique quantique tentent à démontrer l’existence d’univers parallèles et Bayard – K.Dick sort de ce corps – en conclut que « La première tâche que devra se fixer cette critique sera/…/de réhabiliter les auteurs et les œuvres qui, éclipsés par les chefs d’œuvre, n’ont pas disposé d’un plein accès au canon, et de montrer comment, dans des mondes alternatifs, leur accueil a été différent. ». Plus ambitieux et ludique encore, l’essayiste nous invite, finalement, à imaginer les œuvres des « empêchées » si….
Le propos de Bayard est documenté, érudit, imaginatif mais aussi fantaisiste, faut-il prendre cet essai au 1er degré : à vous de voir ? Reste que sa lecture est revigorante intellectuellement et nourrira j’en suis sûr des discussions passionnées.
Éric ATTIC