Le second album de Working Men’s Club est encore meilleur, plus chaotique, mais aussi plus maitrisé que le premier. Un voyage dans un paysage techno-electro pop, qui est toujours aussi enraciné dans une tradition anglaise mais d’une originalité incroyable.
Les quatre gamins de Working Men’s Club s’étaient déjà bien fait remarquer, en bien, il y a 2 ans lors de la sortie de leur premier album, l’éponyme Working Men’s Club, dont nous avions eu l’occasion de dire le plus grand bien ici. Une musique électro, déjantée, à la fois brutale et pop, entraînante et sombre, énergique et furieuse. Une musique venant d’un coin de l’Angleterre qui a vu naître et passer un nombre incroyable de compositeurs et de performers de haut vol. 2022, les gamins reviennent, ils ont un peu vieilli, forcément, mécaniquement mais leur musique n’a guère changé. Le groupe semble même avoir gagné en maturité, en assurance, en certitude, cette certitude qui vous vient quand vous du plaisir de faire la musique qu’on a envie de faire – “I just wanted to make tunes, like I did and like I will continue to do”, a dit quelque part Sydney Minsky-Sargeant, le compositeur et chanteur du groupe, et quand on fait ce qu’on aime comment ne pas aimer ce qu’on fait ?
Comme le précédent album, Fear Fear déborde de références. Elles sont là dans les beats, dans la voix, les guitares, les rythmes de basse. New Order, plus que Joy Division, mais aussi A Certain Ratio. Il y a aussi, dans l’excès et dans l’urgence qui règnent derrière les architectures sonores que le groupe échafaude au risque de fabriquer des meringues indigestes, un côté Chemical Brothers (et pas seulement à cause des sirènes qui s’étirent, par exemple, comme des chewing-gums au début de Fear Fear, le second morceau de l’album). On sait déjà à ce moment-là que l’album va grincer et faire grincer des dents. Et de fait, il grince, il fait grincer. Un album éprouvant par ses rythmes très cassants, ses parties de synthé à la limite de l’atonal. Mais pas seulement, Fear Fear est un album qui trotte dans la tête, sur lequel on revient volontiers par plaisir (coupable et masochiste, qui sait, mais par plaisir quand même). Probablement parce que chaque morceau semble plus intelligent que le précédent (et l’inverse également). Chaque morceau contient assez d’idées et de trouvailles pour deux ou trois autres albums de qualité.
Comme le précédent album, Fear Fear déborde d’énergie. Pourtant, cette énergie se glisse dans des morceaux qui peuvent être lents et mélancoliques. L’entrée dans l’album est plutôt cool et mélodique. 19 ouvre le bal, mais pas les hostilités. On se prend à rêver d’une déclinaison moderne d’un morceau de New Order ou de l’une de ses nombreuses déclinaisons. Le morceau est dansant, les beats sont heurtés, la voix est blanche et les synthés noirs, mais il y a quelque chose de planant qui est presque euphorisant. On retrouve ce sentiment sur la totalité des pistes. Le côté euphorisant est là – toujours quand même porté par des rythmes noirs et rugueux.
Une des marques de fabrique du groupe est une espèce de désespoir, un côté glauque sombre. Widow est en la matière particulièrement réussie, comme Rapture, avec son gimmick de guitares acides, un rythme minimaliste qui s’accélère sur les refrains (un morceau réellement éprouvant, tendu). Money is Mine est aussi minimaliste et atonal, dissonant au possible, mal à l’aise, dérangé, dérangeant avec ses dérapages tropicaux. Heart Attack a aussi cette éthique minimale, mais plus joueur, empruntant ses rythmes et même les parties de synthé à la techno heurtée dont Warp s’était fait la spécialité au début des années 80. Ploys et Cut peuvent avoir aussi cette dimension minimale, mais les rythmes sont habillés de mélodies très aguicheuses et addictives et de parties de claviers d’une grande richesse.
Fear Fear n’est ni tout à fait le même, ni tout à fait différent de Working Men’s Club. On y retrouve la même ambiance désespérée, les mêmes rythmes heurtés, la même volonté de dissonance, sonner juste, mais juste ce qu’il faut, et sonner comme en faisant partie d’une histoire et en cherchant à s’en démarquer. Working Men’s Club joue avec une certaine tradition tout en l’agrandissant. Définitivement un groupe important.
Alain Marciano