Vous avez kiffé Wet Leg, Mattiel, The Beths et Alvvays ? Vous vouliez encore un peu d’indie pop rusée pour 2022 ? Votre diététicien, votre directeur de conscience et tous vos voisins se sont concertés. Ils ont passé des coups de fil au pape, à Henry Rollins et à Mary Poppins. Ils ont jeûné, fait tourner les tables, lu les astres et les entrailles des Teletubbies, et sont tombés unanimement d’accord. Voici Tchotchke, dont le premier album devrait faire votre bonheur.
Tchotchke, c’est l’histoire de trois potesses, Anastasia Sanchez (batterie et chant), Emily Tooaren (guitare) et Eva Chambers (basse) qui fredonnent comme des surfeuses tout en jouant comme des rockeuses. C’est l’histoire d’un premier album qui était vachement bien quand il est sorti cet été, et qui l’est tout autant à l’approche du solstice d’hiver. Avant tout cela, pourtant, il y avait Pinky Pinky, un trio indie formé sous le soleil californien par Sanchez et Chambers, alors complétées par Isabelle Fields à la guitare. En sortirent plusieurs EP et un album intitulé Turkey Dinner, édité en 2019. Après trois ans, une relocalisation à New York, un changement de nom et de six-cordiste, nous avons donc affaire à Tchotchke pour un premier album éponyme mis en boîte avec les jumeaux des Lemon Twigs aux manettes.
Tchotchke. Bric-à-brac, en anglais. Un nom jovial et rigolo, qui résonne comme une promesse de patchwork malicieux et débrouillard. Un pressentiment que l’écoute des chansons de ce nouveau premier album tend à justifier partiellement. Sur le plan de la classification, on est dans le thème. Bien malin et téméraire celui qui tentera d’estampiller le son du trio au moyen d’une seule étiquette préétablie. L’album brasse une jolie palette de styles tous assez reconnaissables quand on les approche séparément, mais dont les frontières deviennent immédiatement floues une fois qu’on prend la peine de touiller un peu la mixture. Grosso-modo, nous pouvons vous promettre une jangle pop ensoleillée, jouée comme du rock dans un garage balayé avec flemme. Une écriture très mélodique, traversée tour à tour de guitares carillonnantes (Ronnie, You’ll Remember Me), de synthés douillets (Dizzy), de pianos sautillants et de cordes scintillantes (Come On, Sean), et emmenée par le phrasé mélancolique de la batteuse.
Pourtant, le résultat n’a de bric-à-brac que le nom. À moins, peut-être, de l’orthographier « brique-à-braque », car l’écriture est solide, rectiligne et très directe. Les mélodies accrochent tout ce qui passe et la sophistication des arrangements force le respect. Vous l’aurez compris, on a plutôt affaire à une construction méticuleuse qu’à un assemblage hétéroclite érigé au petit bonheur la chance. C’est stable, c’est compétent et ça ne fait pas semblant. De fait, les références les plus instinctivement reconnaissables sont loin d’être les moins flatteuses. On flaire du Beatles dans Oh Sweetheart, Come et du Beach Boys dans What Should I Do?, merveilleux petit théâtre à cordes, cuivres et xylophone, dont le pétillement pop contraste superbement avec l’émotion déchirante de son texte. Don’t Hang Up On Me est un single jouissif où des guitares indie et une batterie garage font du saut à l’élastique sur un piano martial, avant d’être finalement rejointes par… une harpe. Rien que ça.
Wish You Were A Girl est un tube indie pop fort bien troussé, qui sonne plus ou moins comme si Patti Smith avait grandi sous les palmiers de Venice Beach plutôt que parmi les cols bleus du New Jersey, en révérant Brian Wilson au lieu de Lou Reed. Même verdict pour Longing Delights, qui emprunte presque l’insurrection baroque de People Have The Power pour déclamer des envies d’emportement amoureux avec une effervescence qui vous poussera non seulement à quitter votre chaise, mais aussi à la balancer à travers la baie vitrée la plus proche. Si ça ne vous donne pas envie, c’est sans doute que vous vivez dans un bloc de béton sans fenêtres. Dans ce cas-là, il vous faudra retenter l’écoute en extérieur en apportant votre propre chaise et en optant pour la première fenêtre que vous rencontrerez en chemin. Résultat garanti. Prévoyez aussi de bonnes chaussures de sport pour détaler en vitesse.
Mattias Frances