Mathieu Belezi, lauréat du prix littéraire Le Monde 2022, mais injustement oublié par le Goncourt nous décrit dans un style magnifique les vies parallèles d’une femme colon et d’un soldat pendant les prémices de la colonisation française en Algérie : édifiant !
Pour beaucoup, ce qui reste en mémoire de la colonisation française en Algérie, c’est la guerre d’indépendance menée par le FLN dès 1954, le contingent de jeunes appelés français envoyés sur le terrain, les atrocités commises par les deux bords, les harkis puis le retour des pieds-noirs en France en 1962. Un des premiers mérites d’Attaquer la terre et le soleil de Mathieu Belezi est de faire un rappel historique indispensable sur le « comment » des prémices de la présence française en Algérie dès 1830, préfigurant, de mon point de vue, la suite des évènements…
Son roman, scandé par les voix de deux personnages qui ne se croiseront jamais, nous décrit le sort autour de 1845 de Séraphine, colon, installée à Bône avec sa famille, venue chercher « le paradis que le gouvernement de la République nous avait promis » et d’un soldat dont nous ne connaitrons pas le nom, mais dont nous savons par son capitaine : « Bordel, m’entendez-vous quand je vous dis que vous n’êtes pas des anges ! ». Utile de préciser que les principales missions de ces soldats étaient de veiller sur les colons « comme un père veille sur ses enfants » et de pacifier l’arrière-pays même si depuis le « débarquement à Sidi-Ferruch nous en avons fait du chemin, mis le feu aux villages, tranché des têtes, éperonné le ventre de pas moins de cent mille femelles/… ».
Mathieu Belezi, dans un style non sans rappeler Faulkner, alterne les chapitres consacrés à Séraphine et au troufion, pour dépeindre un Far West, qui baigne dans une violence permanente, où les colons se battent contre une nature hostile (sécheresse puis déluge), bâtissent autour de leur campement une palissade « comme un rempart entre nos maisons et la cruauté de ceux qui ne cherchaient qu’à nous couper la tête », où les Indiens sont remplacés par les Algériens (agressés/agresseurs) et les tuniques bleues par les bataillons de Bugeaud.
Difficile de parler d’un livre sur l’Algérie sans évoquer Camus mais il est présent. Quoi de plus absurde que le sort des deux protagonistes : l’une étant à la recherche d’un paradis qu’elle n’a aucune chance de trouver et l’autre se vautrant dans une violence gratuite et sans finalité ? Nous sommes en Algérie et le soleil darde évidemment : « sous la chaleur extrême du soleil, les gens sont morts sans même comprendre ce qui leur arrivait ». A défaut de la peste c’est une épidémie de choléra qui décime la famille de Séraphine. Que dire du médecin militaire qui « à bout de remèdes de bonne femme n’avait rien trouvé de mieux de nous conseiller de danser pour que le sang bouillonne dans nos artères, pour que la chair sue, élimine ses sueurs empoisonnées/… » ?
Belezi connait son sujet puisque ce roman est le 4ème livre qu’il consacre à l’Algérie, au-delà de l’intérêt qu’il suscite à propos du contexte historique et des personnages que nous suivons, ce qui séduit avant tout c’est son style et a contrario de L’Étranger de Camus, son écriture n’est pas blanche. Son écriture est scandée (à l’image des discours incessants des gradés), avec un lyrisme sec (comme la terre), procède d’une ponctuation sans points finaux (y-a-t-il une fin au malheur de Séraphine ?), exsude la violence qui sévit et nous imprègne de la vie de Séraphine et du soldat, nous laissant, lecteur désemparé, face à l’absurdité de leur destin imposé par d’autres qu’eux.
Une fois reposé le livre, le dernier mérite d’Attaquer la terre et le soleil de Mathieu Belezi est de nous conduire à mieux appréhender le sort d’un migrant du XXIème qui tente de rejoindre l’Europe et à qui l’image de Séraphine, petit-blanc et migrante du XIXème en Algérie, comprend rapidement qu’on « ne n’atteindrait jamais ce paradis tant vanté, peut-être qu’on ne l’atteindrait jamais parce qu’il n’existait pas, qu’il n’avait jamais existé et qu’il n’existerait jamais tout au moins pour les gens comme nous ».
Éric ATTIC