Si jamais vous doutiez que l’homme, soit-il le plus éduqué, fut potentiellement un loup pour l’homme, ce livre est fait pour vous. Bon voyage en haute mer, mais surtout, accrochez-vous.
Les producteurs en mal d’imagination abusent de la mention « inspirée de faits réels » sensée rendre leurs scénarios plus vraisemblables. Pourtant, nous savons que la réalité dépasse la fiction. 1629 s’inspire du naufrage du Batavia – rebaptisé pour l’occasion Jakarta – qui, en son temps, défraya la chronique. Cumulant mutinerie, naufrage, tortures et assassinats, l’affaire rappelle celle des mutinés de la Bounty, récemment adapté en BD par Mark Eacersall, Sébastien Laurier et Gyula Németh (Pitcairn). Pris d’une frénésie meurtrière, marins et passagers s’entretuèrent sauvagement.
Le Jakarta est le plus rapide et le plus moderne vaisseau de la richissime Compagnie hollandaise des Indes orientales. L’équipage de ce petit navire, d’une cinquantaine de mètres de longueur, compte trois cents hommes. Les conditions de vie sont rudes. Statistiquement, près de la moitié des marins mourra lors de la traversée, les matelots représentent alors la lie de l’humanité. Le navire embarque des passagers de marque et une montagne de pièces d’or. La belle et riche Lucrétia Hans part rejoindre un mari qu’elle déteste. La Compagnie presse son subrécargue, qui hait le capitaine, de brûler les étapes. Son second, le méphistophélique Jéronimus Cornélius, aspire à se venger d’une société qu’il exècre. Les pièces du drame sont en place. Place aux cavaliers de l’apocalypse, la mort, la famine, la guerre et la peur ; au complot et à la mutinerie.
Les personnages de Xavier Dorison sont bien campés. La pagination généreuse autorise une lente montée de la tension de ce démoniaque huis-clos. Jéronimus subvertit le capitaine, qui enrôle discrètement quelques fortes têtes. Les autres suivront. Terrorisés, les autres suivent toujours.
Les dessins de Thimothée Montaigne sont classiques, mais habilement travaillés, avec de savants mouvements de foule et d’audacieux cadrages. Jéronimus bénéficie d’une inoubliable entrée en scène. Le Djakarta est superbe et les différents plans parviennent à nous le rendre rapidement familier, nous voilà embarqués.
Ce très bel album appelle une suite. Il nous faudra donc patienter avant de connaître le dénouement qui s’annonce tragique.
Stéphane de Boysson