Au rayon curiosité, Nicolas Presl, auteur sensoriel qui préfère l’image et le silence, nous propose La Jungle. Parce que les mots ne servent à rien quand ils sont couverts par le fracas de la guerre. Pas de doute : le monde est bien une jungle et l’homme reste un loup pour l’homme.
Un immeuble explose. La ville s’embrase. Trop de violence, trop de ruines. Un combattant tente de fuir l’enfer d’un pays en guerre, dépose les armes, et rejoint la cohorte de civils en exode. Fuir, mais fuir pour quel ailleurs, quand la mort vous suit à la trace et vous enserre de ses membres glacés ?
Adepte de récits muets, Nicolas Presl est définitivement un auteur à part, soutenu depuis des années par les Éditions Atrabile. Il possède son propre univers, empreint de surréalisme, qui demande la participation active du lecteur.
Avec La Jungle, il ne déroge pas à ses habitudes. Cette fois, ce féru des mythes antiques nous propose une histoire contemporaine, horriblement contemporaine devrait-on dire, puisqu’elle nous emmène sur les traces d’un réfugié cherchant à fuir son pays en proie à la guerre et au terrorisme qui pourrait être la Syrie. Sur le rafiot bondé censé l’amener vers une « terre promise », qui ne se révélera être qu’un camp grillagé, il tombe amoureux d’une femme qu’il sauvera de justesse des mains de ses violeurs. Une fois arrivés dans le camp, le couple se voit accordé les faveurs d’un gourou de passage qui les prend, on ne sait pas trop pourquoi d’ailleurs, sous son aile. S’ensuit une aventure rocambolesque où le sexe se mêle au sang, où les instants de félicité sont constamment menacés par la violence et la destruction.
En résumé, l’auteur nous livre une fable picaresque hors normes, une histoire dérangeante, extrêmement intrigante même si souvent on n’est pas sûr de comprendre tous les tenants et aboutissants. On est toutefois sûr d’une chose : le monde selon Nicolas Presl est bien une jungle où il n’y a rien de bon à attendre de l’être humain. De manière systématique, les rapports sociaux sont régis par la loi du plus fort, et religions et croyances n’arrangent rien à l’affaire.
Le dessin renforce le côté dérangeant de cette lecture, en particulier par ces personnages à l’aspect inquiétant, quasiment toujours de profil, qui semblent inspirés par Picasso. Chez Presl, si la beauté existe, elle ne se trouve que dans la nature, seule la laideur appartient à l’Homme (et plutôt du genre masculin), toujours enclin à la corruption, à la soif de contrôle et de domination, à l’esprit de meute et à la pulsion de mort. Et la Mort, toujours grimaçante et menaçante, est une figure marquante et récurrente dans ces pages, tandis que le paradis, s’il lui arrive d’être terrestre, menacé par cette dernière constamment en embuscade, ne demeure jamais qu’une brève illusion.
Si La Jungle est un OVNI éditorial, c’est bien de notre monde terrestre dont il est question. Certes, le livre ne nous apprend pas grand chose de la nature humaine, mais il vaut surtout pour ses qualités artistiques et son étrangeté.
Laurent Proudhon