Dramatique changement de style pour Jack Ryan, qui chausse ses plus gros sabots tant en termes d’idéologie états-unienne que de forme cinématographique, « à la Michael Bay ». Une horreur…
La troisième saison de la série Jack Ryan, nouvelle adaptation des best sellers de Tom Clancy produite par John Krasinsky (le nom maudit de Michael Bay apparait aussi générique, ce qui explique sans doute bien des choses !) marque un changement profond de style : exit le minimum syndical de réflexion et les intrigues typiques du monde de l’espionnage, exit le rythme mesuré qui permettait de bien comprendre les situations et de s’imprégner de la complexité de certains personnages, et bienvenue à un thriller d’action spectaculaire, qui lorgne a priori sur le modèle Mission : Impossible, sans l’humour ni l’imagination de ce dernier, et donc finalement sur les blockbusters « à la Michael Bay ». Les téléspectateurs – et les critiques – états-uniens adorent, tant mieux pour eux, mais il y a de grandes chances que les amateurs de fictions d’espionnage « classique » y trouvent nettement moins leur compte : le rythme frénétique des scènes d’action, la multiplication des péripéties qui s’enchaînent souvent sans grande logique, tous ces défauts du cinéma et de la série TV commerciale la plus standard sont désormais de mise…
L’histoire que nous raconte cette nouvelle saison tourne autour du sujet, pertinent, du désir des « patriotes » russes de faire retrouver à leur pays la grandeur de l’URSS – ou tout au moins la terreur qu’elle inspirait – en réactivant un programme de recherche militaire qui avait été arrêté de manière particulièrement brutale, et en appliquant une stratégie de manipulation progressive de l’OTAN et des USA, le tout risquant de causer un nouveau conflit planétaire. Un seul homme pour arrêter les conspirateurs : Jack Ryan ! Désavoué par sa hiérarchie, à la manière d’un Ethan Hunt dans Mission : Impossible, Ryan devient un « rogue agent » et trouve un improbable allié en la personne de Luka, un redoutable agent russe. Et c’est donc parti pour cinq épisodes qui laisseront le téléspectateur soit à bout de souffle, soit profondément sceptique… en fonction du type de divertissement qu’il recherche. Sans spoiler, on peut annoncer que le monde sera sauvé (in extremis), que les héros US seront forcément récompensés, tandis que les héros russes seront, tout aussi forcément, punis. Histoire de bien enfoncer le clou sur la supériorité morale états-unienne sur le reste de la planète.
Mais les problèmes de cette saison de Jack Ryan ne s’arrêtent pas aux leçons pesantes de patriotisme qu’elle dispense. Il y a déjà, on le réalise dès la première minute, la décision de faire parler la planète entière en anglais (à la différence des saisons précédentes, plus réalistes), et surtout, ce qui est bien plus grave, de tordre les réalités géopolitiques pour servir et le scénario, et les propos réactionnaires de Clancy : la République Tchèque est globalement nostalgique de l’époque de sa soumission au bloc soviétique, la police grecque prête à collaborer pleinement avec n’importe quel agent russe qui se pointe à Athènes, et… l’Europe n’existe pas, puisque sur l’échiquier où se joue la partie, il n’y a que la Russie, les USA, l’OTAN et des pays « mineurs » décidant absolument ce qu’ils veulent sans avoir à en référer à de quelconques alliés. Soit la vision républicaine, voire trumpienne du monde, réfutant toute nuance entre noir et blanc, et niant l’existence de toute opposition possible à la vérité états-unienne. Heureusement, cet assemblage de mensonges et de naïveté s’écroule de lui-même, tant la comparaison que le téléspectateur fera forcément entre ce qu’on lui raconte ici et l’agression de Poutine contre l’Ukraine montre combien la vision de Clancy est désactualisée, dépassée.
Il n’y a guère qu’une seule chose qui rende intéressante cette saison, c’est le magnifique personnage de Luka, hanté par les crimes qu’il a commis par le passé, et qui offre une vision morale réelle de la politique : c’est James Cosmo – un acteur de second plan qui l’a pas particulièrement brillé jusqu’alors – qui incarne de manière spectaculaire ce vieux monstre crépusculaire. Et il vole toutes les scènes où il apparaît, et relègue dans l’oubli le personnage de Jack Ryan, qui semble particulièrement falot et creux ici.
Il est grand temps de renoncer à l’exercice masochiste qu’est le visionnage de telles horreurs, et de revenir à de véritables séries d’espionnage, comme l’excellent Slow Horses, sur Apple TV+.
Eric Debarnot