Comment faire un excellent album tout en manquant totalement d’originalité : voilà la recette de Horsegirl, qui avec leur Versions of Modern Performance, célèbrent sans vergogne le culte d’un Indie Rock noisy qui a plus de 30 ans.
Il faut bien reconnaître que pour quiconque a, comme nous, horreur de la nostalgie en général et dans la musique en particulier, la première écoute de Versions of Modern Performance, le premier album de Horsegirl n’est pas encourageant. Il n’y a pas grand-chose ici qu’on ait pas déjà entendu, dans les années 90 en particulier, chez des groupes – qui étaient nos chouchous à l’époque – comme Sonic Youth, My Bloody Valentine, Dinosaur Jr., Yo La Tengo… Mais, comme il ne s’agit pas là de mauvaises références, au contraire, et comme ça n’a jamais avancé à rien d’être borné ni d’écouter sa mauvaise humeur, il a bien fallu admettre aussi que le single Anti-Glory était quasiment renversant. Et qu’il était difficile de ne pas y revenir. Encore et encore. Et voilà comment un album initialement rejeté, à force de ténacité et de patience, arrive à figurer très haut dans la liste de nos plaisirs (coupables, un peu) de l’année 2022.
Horsegirl, c’est un power trio (ce qui est, rappelons-le aux amnésiques parmi nous, la combinaison guitare / basse / batterie parfaite pour jouer du Rock qui bastonne, va droit au but, et ne s’embarrasse pas de fioritures), formé par trois très jeunes femmes (ce qui est indéniablement un gros plus quand on est peu fatigué après toutes ces années, des vieux machos à guitares), qui plus est de Chicago (on dit « qui plus est », mais il faut bien reconnaître que Chicago n’a jamais rien eu d’une pépinière pour l’Indie Rock, et on n’arrivera même pas à citer une poignée de gens notables originaire de la « Ville des Vents » dans le genre qui nous intéresse ici : Wilco, The Smashing Pumpkins, Veruca Salt…). Les filles constituent a priori ce qui est sorti de meilleur de la scène rock teenage de Chicago, et leur album a bénéficié du soutien de gens comme les ex-Sonic Youth Lee Ranaldo et Steve Shelley (qui jouent sur deux titres) ou le producteur John Agnello (Dinosaur Jr.), ce qui ne saurait nous surprendre !
On peut dès aujourd’hui prédire qu’en dépit des titres malins, vaguement post-modernes, de leurs chansons, aucun Prix Nobel de Littérature ne viendra jamais récompenser le songwriting de Horsegirl, dont les paroles des chansons passent clairement au second plan derrière le son des guitares… Et on voit très rapidement à quel genre de musique on a affaire ici : du Rock joué par de très jeunes gens qui aiment profondément ça, pour un public qui a été biberonné au noise. Jusque dans les morceaux les plus malaisants (The Fall of Horsegirl, où le texte se révèle particulièrement inventif : « One / Two / Three / Four / Five / Six » !) et dans les intermèdes instrumentaux un peu bizarres (The Guitar Is Dead, petite blague au piano, Bog Bog 1, Electrolocation 2), l’album ne se départit jamais d’une claire dose d’excitation juvénile.
Mais c’est quand elles vont chercher un plus mélodique, comme sur la bien nommée Beautiful Song ou sur World of Pots and Pans qu’on se dit que, au-delà de cette aisance diabolique que les filles ont pour appuyer sur tous les boutons qui nous font du bien, il y a peut-être bien ici un futur bon groupe en gestation. Mais ça, c’est le second album qui nous le dira. Ou non.
Eric Debarnot