Impossible de ne pas avoir un gros coup de cœur pour Valse à 3 sœurs, chronique légère mais pleine de vivacité de l’existence de trois jeunes femmes « abandonnées » par leurs parents !
La mère de Sumi, qui vient juste d’avoir 18 ans, et de ses deux sœurs plus jeunes, Tora et Fuji vient de décéder. A la fin de la période rituelle de deuil, leur père leur annonce qu’il va disparaître, explorer le monde et jouer du piano. 10 ans plus tard, qu’est-il advenu des trois sœurs, abandonnées ? C’est leur vie quotidienne que raconte Melome Machida dans ce manga hors-normes, qui a fait une forte impression à sa parution au Japon : une vie qui s’est poursuivi après que l’inimaginable se soit produit, et qui s’est stabilisée dans une cellule familiale recréée autour de la sororité, dans une forme de résilience et de complicité qui ferait – on se le dit quasiment à chaque page que l’on tourne – un formidable sujet de film pour Kore-eda.
Dans Valse à 3 sœurs, ainsi intitulé en hommage à l’amour de Sumi pour le rythme de la valse, et à une passion partagée avec son père « disparu » pour Strauss, on parle presque uniquement de vie quotidienne : du boulot (il fait bien gagner sa vie), de la nourriture (il faut bien manger, mais ça, c’est visiblement un intense bonheur pour nos trois héroïnes, toujours réunies autour de la confection de repas et les abus de junk food !), des tracas ordinaires et des grands moments de petits plaisirs. Aucun événement dramatique, aucune aventure, même amoureuse – ce qui semble de prime abord assez curieux, si l’on fait abstraction de la nécessité d’exister, de survivre, de ces trois jeunes femmes seules au monde – ne viennent troubler leur routine, qui devient en elle-même une sorte de magnifique aventure.
Si l’on a au début le sentiment d’être dans un manga « standard », surtout à cause du choix graphique très classique de Melome Machida, on saisit très vite l’ambition de ces récits vivaces mais légers qui ne « racontent rien », et diffusent un mélange rare de nostalgie (d’une vie « normale » que les filles ne connaissent pas) et d’énergie vitale… qui fait que l’on est beaucoup plus dans la veine des « romans graphiques » qui fleurissent en Europe et aux USA.
Et puis, cet aspect merveilleusement « ordinaire » de la vie de Sumi, Tora et Fuji résonne parfaitement avec nos préoccupations personnelles, qui tournent finalement surtout autour de la difficulté de trouver sa juste place dans une société très dure, tout en préservant des îlots de bonheur, aussi simple soit-il (voire même le plus simple, donc le plus vrai possible). C’est là l’universalité de ce beau livre, qui a été écrit et dessiné par un jeune Japonais, mais pourrait nous venir d’à peu près n’importe où sur la planète (… avec des recettes de cuisine différentes, quand même !).
Et il y a ce cliffhanger final, cette carte postale qui s’envole, qui nous fait trépigner d’impatience en attendant la parution du second tome…
Eric Debarnot